Un service à rendre...

« Un service à rendre »

Allya & Ethan

J'avance lentement dans la rue principale du district, mes copies serrées contre moi. La chaleur moite de cette fin d'après-midi pèse sur l'air, c'en est presque insupportable. On sent bien qu'il va y avoir un de ces orages mémorables du début de l'été.
La classe vient de se terminer, je suis aussi épuisée que les enfants et je ne songe qu'à une chose : rentrer chez moi pour prendre une douche glacée. Il faisait tellement chaud dans la salle que mes habits sont trempés de sueur, ils collent sur ma peau et pourtant, quand on sort dehors, un vent frais fait rouler les grains de poussière de la rue.
Je pince les lèvres quand je passe devant le poteau de flagellation, et les Pacificateurs m'adressent un signe de tête qui ne peut pas être plus glacial. Ils ne reconnaissent en moi que la fiancée de l'un des leurs, mais je m'en fiche. Le seul avantage est qu'ils sont moins brusques envers moi qu'envers n'importe-quel autre habitant du Dix, car Eliott a beaucoup d'influence su eux. Ils savent qu'il peut être cruel si ils s'en prennent à moi...
Je déglutis péniblement et je ne me permets de respirer à nouveau que lorsque je tourne au coin de la rue qui abrite ma maison, loin des Pacificateurs, de l'estrade de la Moisson et d'autres horreurs du Capitole.
Une fois devant chez moi, j'ouvre la porte avec une gymnastique étrange pour retrouver mes clés, et je me précipite à l'intérieur. La pénombre m'offre un soulagement égalant presque celui du gamin qui n'est pas tiré au sort pour les Hunger Games.
C'est avec cette même nonchalance, ce même soulagement d'avoir fini ma journée que je me suis réfugiée dans la pénombre de la cuisine. Avec un soupir d'aise, j'ai parcouru les meubles familiers, le four, l'évier de fonte brune. Ce n'était pas aussi luxueux que les maisons du Village des Vainqueurs que j'avais eu l'occasion de visiter lors de la victoire de Samuel, mais j'avais tout de même la chance d'avoir mon petit confort.
J'avais quelques heures de tranquilité avant qu'Eliott ne finisse son service, et je souris avant de me diriger vers l'évier afin de soulager ma gorge sèche. On ne dirait pas comme ça mais mon métier est assez prenant, surtout pour mes cordes vocales qui s'usent facilement. A la fin de chaque journée, je suis vidée de mes forces et j'ai la voix rauque, mais il me suffit de souffler et de boire un grand verre d'eau glacée afin de retrouver toute la puissance vocale dont je suis capable d'habitude.
Je savoure chaque gorgée avec un sourire satisfait, et je me retrouve contempler les Pacificateurs qui s'emploient à installer la grande scène pour la Moisson, depuis la fenètre de la cuisine qui donne directement sur la place principale du district et l'Hôtel de Justice. Je pourrais rester chez moi si ma présence n'était pas obligatoire ce jour-là et si toute absence n'était pas rudement sanctionnée, même parmi les adultes qui ont eu la chance de n'avoir jamais été tirés pour les Hunger Games.
Perdue dans mon étude de la place, je repère rapidement la silhouette d'un des éleveurs du District se diriger vers chez moi, ou peut-être est-ce juste une impression, et qu'il va tourner au coin de la rue sans se préoccuper de moi.
J'ai juste le temps de me détourner de la fenêtre et de reposer mon verre sur la petite table, juste assez grande pour accueillir deux personnes, et il me fait un signe depuis la rue.
Je le reconnais immédiatement : c'est Ethan Underwood, un des seuls éleveurs du district que j'arrive à supporter. En même temps c'est le seul avec qui j'ai établi un semblant de contact.
Je me permets de le détailler quelques secondes, protégée par la pénombre de la pièce et la vitre de la fenêtre : ses cheveux châtain clair encadrant son visage, sa barbe de trois jours, ses sourcils épais.
Puis j'ouvre finalement la fenêtre. Vu qu'il a l'air de vouloir parler, je ne vais pas le fuir en faisant semblant de ne pas l'avoir vu.
A sa mine soucieuse, je devine qu'il a des problèmes. Peut-être à cause de Chase... Cette hypothèse me fait froncer les sourcils, parce que j'aime beaucoup ce gamin et que j'essaye tant bien que mal de l'aider. Je m'appuie contre le rebord de la fenêtre et je finis par sourire à Ethan.

— Ethan... Je suis heureuse de vous voir.

J'inspire profondément, avant de vérifier si je ne vois pas l'uniforme d'Eliott sur la place, et j'ajoute :

— Que se passe-t-il ? Vous avez l'air soucieux.

Codage by TAC

Ethan s'était adossé contre un mur et fumait tranquillement sa cigarette, pensif.
L'étonnant avec les pensifs était leur capacité à ne penser à rien. Bien au contraire : ceux qui se décrivaient comme pensifs étaient plutôt occupés à ne réfléchir à rien, à vider leurs têtes de toute humeur parasite. Ils voyaient sans regarder, ils entendaient sans écouter. A ces instants, ces hommes et femmes étaient philosophes, scientifiques, géographes. Ils observaient le monde devant eux et se concentraient sur les détails les plus insignifiants.
Il y avait cette plante sauvage dans ce milieu urbain. Un pissenlit, un peu pâle et triste, qui avait profité d'un trou dans le goudron pour croître. Et sur l'une de ses feuilles se promenait cette petite coccinelle rouge, innocente et sacrée, qui ne demandait rien à personne. Elle faisait son petit chemin, cherchait un perchoir pour s'envoler et pour trouver un nouvel endroit où se poser.
Ethan se demanda pourquoi il admirait une coccinelle pour fuir la réalité.
C'était idiot et parfaitement inutile. Il n'avait jamais fait cela auparavant. Il avait appris très tôt à se battre contre les difficultés et sans les chercher, il ne les fuyait pas. Ainsi avait-il survécu à l'arène, au comportement de ses parents, à la mort de son frère, à la victoire de l'un de ses tributs. Ainsi avait-il estimé mériter la paix, le repos, un semblant de bonheur de père de famille.
Puis Samuel eut un accident. Puis Samuel se retrouva coincé à l'hôpital et Ethan, lui, était renvoyé dans l'arène en tant que Mentor.
A cette pensée, l'éleveur tira un coup sur sa cigarette. Il n'était pas venu en ville pour se plaindre de son sort mais parce qu'il avait à demander un service.
Allya Lagan. Jeune institutrice au sein du District Dix, fiancée à un Pacificateur, elle s'était inquiétée pour Chase dès son arrivée dans sa classe deux ans auparavant. Il fallait dire que de nouveaux arrivants n'étaient pas une chose commune dan les classes de Panem, ses habitants n'ayant en effet pas le droit d'emménager en dehors de leurs Districts respectifs et ce petit garçon semblait perdu. Aux questions qu'elle posait, il se refermait et ne répondait qu'évasivement, incapable de se souvenir de la vie précédant son arrivée au dix, ce qui la décida depuis à l'aider en discutant régulièrement avec lui.
Il était temps de se rendre chez elle pour demander le service.
C'était le premier qu'il lui demandait. En effet, Ethan avait appris des semaines après que le professeur avait pris le petit Chase sous son aile et avait discuté un peu avec elle. Oui, il l'appréciait beaucoup. Il lui en était reconnaissant d'avoir intégré le petit garçon dans ce nouveau monde.
En cette dure journée d'été, Ethan préféra emprunter l'ombre des bâtiments et le labyrinthe des ruelles, à la place centrale du District préparée pour la Moisson. Il ferait cette année lui aussi partie des gens récoltés. Bien qu'il ne mourrait pas.
Ethan se retrouva en face de la maison d'Allya. Celle-ci était en train de boire un grand verre d'eau, se reposant de sa longue journée de classe. Il hésita un instant à faire demi-tour et à la laisser tranquille quand leurs deux regards clairs se croisèrent. Il lui fit un signe et, ne pouvant plus rebrousser chemin, il avança vers la fenêtre ouverte. Elle le salua à son tour :

« Ethan... Je suis heureuse de vous voir.
- De même Miss Lagan, et vous êtes ravissante aujourd'hui, » lui répondit-il avec politesse, soulevant son chapeau.

Elle semblait être inquiétée.

« Que se passe-t-il ? Vous avez l'air soucieux. »

L'éleveur soupira. Il aurait aimé que cela ne se lise pas sur son visage, cependant il devait avouer que cela le bouleversait comme jamais. Sa patience, son sang froid... tout était balayé par la chute d'une illusion.
Restons zen.

« On ne peut rien vous cacher, lança-t-il avec un léger sourire. J'aurais en effet besoin que vous me rendiez un service. »

Oui, un service. Un gros service, un service qui pèserait lourd sur eux deux et demanderait à Allya plus qu'un service entre copains.

« Puis-je rentrer ? J'aimerais éviter de crier dans tout le District. »

« Un service à rendre »

Allya & Ethan

Il y a des jours où on ne peut s'empêcher de sourire. Sourire pour détendre son prochain, sourire parce qu'on a vu quelque chose d'amusant. Sourire parce qu'on se sent bien, sourire pour faire croire aux autres qu'on est heureux, que vivre nous plaît. Quand on a échappé aux Moissons et qu'on peut enfin vivre sa vie, on a des excuses valables pour sourire, bien que la vie dans les Districts n'offre pas vraiment de distractions.
Bien que tout cela soit une de mes propres théories, brevetée et vérifiée par mes soins, confirmée par Eliott, je ne sais pas ce qui me force aujourd'hui à sourire à Ethan. Sans doute parce que j'ai besoin de le mettre à l'aise, parce que ce geste, insignifiant, me rassure alors que juste devant moi, les Pacificateurs installent la grande scène de la Moisson. Il y a des jours où j'ai envie de fermer la fenêtre, les rideaux, de me barricader chez moi, pour oublier le monde, oublier Panem, être enfin seule. Il y a des jours où je simulerais bien d'être malade pour ne pas aller à l'école, où je vois les enfants qui peuvent être envoyés dans l'arène. A chaque fois, je me dis : «ça pourrait être toi, le tribut. Toi, toi, ou toi.»
A chaque fois que j'en interroge un, j'ai l'impression d'être l'hôtesse qui tire leur nom.
Je secoue la tête, afin de chasser cet afflux de pensées dérisoires. Il faut que je me concentre sur Ethan ou tout va mal se passer.

— De même miss Lagan, et vous êtes ravissante aujourd'hui.

Il a toujours été prévenant.
Lointain, comme si il n'était qu'un mirage, un papillon qui vous passe sous le nez sans que vous n'ayez le temps de l'apercevoir. Le genre d'homme insaisissable et insondable. Tant mieux pour moi ou je me sentirais trop mal en sa présence.
Il enlève son chapeau en un geste respectueux qui me fait sourire de nouveau.
Quand Eliott fait ça, je me contente de rire, de le faire rentrer chez nous après une dure journée de labeur. Mais on ne peut pas se permettre de mettre les gens dans le même panier.

— Je pensais que ma fatigue et l'angoisse de la Moisson se verraient, dis-je d'une voix douce. Mais je suis heureuse de constater que j'arrive toujours à maitriser mes émotions.»

J'essaye de me retenir de sourire devant la mine déçue d'Ethan quand je réussis à le percer à jour.
On ne cache jamais rien à Allya Kathleen Lagan, il devrait le savoir, à force.

— On ne peut rien vous cacher, réplique Ethan. J'aurais en effet besoin que vous me rendiez un service.»

Je fronce les sourcils, parcourt la place du regard. Parler ici n'a rien de prudent et il est plus que rare qu'Ethan se permette de dépendre de quelqu'un. Ca doit être grave. Ou important. Ou les deux.

— Ah ? Et quel genre de service ?»

J'essaye de ne pas trop paraître soucieuse. Mais la prochaine phrase d'Ethan m'inquiète, bien qu'elle cache une légère note d'humour.

—Puis-je entrer ? J'aimerais éviter de crier dans tout le District.»

Je me tape sur le front, pourquoi n'y ais-je pas pensé plus tôt ?

—Bien sûr, heureusement que vous m'y avez fait penser, sinon je vous aurais parlé depuis ma fenêtre comme une malpropre.»

Je me détourne de la fenêtre, repose mon verre sur la table et sors de la cuisine avant d'ouvrir la porte et de m'effacer pour qu'Ethan avance. Je le guide jusqu'à la petite pièce à vivre et apporte une chaise, et l'invite à s'asseoir.

—Alors, qu'est-ce qui vous amène ? je demande. Rien de grave, j'espère ?»

Codage by TAC

« Bien sûr, heureusement que vous m'y avez fait penser, sinon je vous aurais parlé depuis ma fenêtre comme une malpropre. »

Ethan eut un petit rire, qu'il accentua pour jouer la comédie. Il valait mieux être prudent dans les rues de Panem où les oreilles traînaient partout. Allya était très confiante, répondant avec assurance et repartie, ce qui rendait l'échange naturel et peu important; mais prudemment, il ajouta à demi-ton lorsqu'elle disparut :

« Oh, vous savez, ce ne sont que des devoirs que Chase va rendre en retard... »

Il se rapprocha de la porte d'entrée derrière laquelle il entendait ses pas précipités venir. Il se poussa à l'instant où celle-ci s'ouvrit et que l'institutrice le pressa à entrer. Il acquiesça, retira son chapeau et sourit, de ce sourire qui s'effaça quand il posa le pied dans la maison, arborant un visage neutre plutôt dur.
Mais qui parmi nous a déjà eu le choix... ?
Depuis qu'il les avait prononcées, les paroles de Phileas résonnaient à chacune des pensées d'Ethan. Allya l'amenait dans une pièce où ils pourraient discuter. Tout bon invité aurait observé la décoration, aurait fait des compliments sur le pot de fleurs aux jolis ornements ou sur le miroir. Cette maison était propre, décorée et bien ordonnée, bien que plutôt modeste. Comparé à cela, Ethan vivait dans un taudis : quand on passait tout son temps auprès des chevaux, sans femme pour l'entretenir, la maison était forcément pleine de poussière et de paille. Rien d'insalubre, mais c'était chose étonnante quand on savait qu'elle appartenait à l'un des hommes les plus riches du District Dix, celui-là même qui laissait à l'abandon une jolie chaumière dans le Village des Vainqueurs.
Ah, il l'avait oubliée celle là.
Allya lui apporta une chaise, qu'il accepta avec un sourire, et il s'assit. Elle fit de même et lui demanda, visiblement inquiète :

« Alors, qu'est-ce qui vous amène ? Rien de grave, j'espère ? »

Pendant un instant, Ethan regarda la jeune femme.
Il vit l'habitante du district Dix. La femme qui avait grandi au milieu des bêtes et qui était écœurée que l'on envoie des tributs mourir comme du bétail. Il vit l'institutrice. La femme qui donnait son temps aux enfants, dont Chase. Dans son regard inquiet, il voyait celle qui élevait des gamins, qui, à travers l'éducation, leur donnait l'image d'un monde meilleur où tout le monde aurait sa chance. Avant qu'ils ne soient tirés au sort et envoyés dans l'arène.
Cette année, c'était comme si elle confiait la vie de ces pauvres enfants entre les mains de l'éleveur pour que ce soit à lui de les tuer.
L'éleveur retournait sans fin le chapeau dans ses mains, les yeux bas. Il était temps de dire à voix haute ce qu'il pensait tout bas depuis des jours.

« Il faut que vous m'aidiez, Allya. »

C'était parti. Il leva es yeux vers l'institutrice et expliqua sa situation d'une voix calme et posée.

« Samuel Allen ne peut assurer le Mentorat pour les Jeux de cette année, aussi le Capitole a décidé que je devais le remplacer pour l'Expiation. Je n'ai pas eu mon mot à dire, je n'ai même pas le temps de m'organiser. Et ce n'est pas comme avant parce cette fois-ci, qu'il y a Chase au milieu... »

Sa voix était éteinte. Il se ressaisit.

« J'ai besoin que vous vous occupiez de Chase pendant toute la durée des Jeux. J'ai réfléchi, je ne vois pas d'autres possibilités pour lui. Il est débrouillard mais... je ne peux pas le laisser seul. »

« Un service à rendre »

Allya & Ethan

Je fixe le ciel du District qui s'assombrit à vue d'oeil, en fronçant les sourcils. Alourdissons donc la comédie si c'est pour ne pas perdre la langue. Ici, quand on joue mal, on risque de perdre tout moyen d'essayer de réparer ses erreurs. Les rayons du soleil, bas, moins intenses que lors de mon retour, sont filtrés par les feuilles des arbres au-dessus de l'Hôtel de Justice. Et si ma maison était surveillée ? Et si j'étais...espionnée tout le temps, même chez moi ? Je frissonne et laisse rentrer Ethan à l'intérieur. Je marche sur la pointe des pieds, furtive, comme quand j'étais gamine et que le seul fait de me réveiller à cause de cauchemars la veille de la Moisson pouvait m'envoyer dans l'arène. Evidemment, la présence d'Ethan n'aide pas à ce que je me sente à l'aise. Bien que j'apprécie beaucoup ce Vainqueur, à force de m'occuper de Chase, il me met toujours mal à l'aise. J'ignore pourquoi. Et je ne veux pas forcément savoir la réponse.

—Oh, vous savez, ce ne sont que des devoirs que Chase va rendre en retard...

Je soupire et je devine facilement qu'Ethan a grommelé cela pour faire bonne mesure. Quoi de plus naturel, après tout, que de vouloir préserver sa sécurité ?
J'inspire profondément, ça m'apaise. Dos à l'éleveur, j'écoute ses pas se rapprocher. On dirait la démarche de Samuel Allen. Pas étonnant, quand on sait qu'ils ont vécu la même chose. Je retourne dans la cuisine, m'approche de la fenêtre et la referme avec un regard circulaire sur la place. On ne sait jamais. En général, les Pacificateurs m'ignorent, comme ils me connaissent, mais on ne sait jamais.
Cette phrase est l'une de mes expressions favorites.
On ne sait jamais.
Je me secoue, comme si je m'ébrouais, je ne suis pas seule et Ethan m'attend dans le salon. Je m'empare de l'une des chaises de la cuisine et la soulève jusqu'à la pièce à vivre. Retour devant l'une des fenêtres donnant sur la place. Bonjour la discrétion.
Je m'installe sur le fauteuil tourné vers la fenêtre. Enfin, fauteuil, fauteuil... C'est un bien grand mot. J'ai récupéré le meuble chez mes parents. C'est plus une chaise tressée avec le blé de l'abattoir que les éleveurs n'utilisaient pas, qu'un véritable fauteil. Mais elle est solide, et assez confortable.
Tendue, je surveille les mouvements des doigts d'Ethan sur son chapeau. Plusieurs éleveurs font la même chose. C'est drôle comme les habitudes se propagent. Mon père faisait pareil.

—Il faut que vous m'aidiez, Allya. »

Mes yeux s'échappent vers la fenêtre. Dehors, les outils de l'équipe de préparation venue tout droit du Capitole tintent, s'entrechoquent, sans arrêt. La scène prend doucement forme.
Et ma peur commence à me ronger. Pourtant je ne risque plus rien, pas vrai ?
Je cale mon coude sur ma cuisse et tend le cou comme pour mieux voir. Mon estomac est noué, on dirait vraiment une gamine de douze ans mais je ne peux pas m'en empêcher. Dès qu'un enfant est tiré au sort, c'est comme si une partie de moi allait être envoyée dans l'arène. Alors que je ne risque plus rien. Ironie quand tu nous tiens...

— Que se passe-t-il donc ?»

Ma voix, inquiète, sort d'entre mes lèvres avant que j'aie pu réfléchir à ma réponse. C'est plus fort que moi, je déteste les Hunger Games. Pendant tout ce mois, je suis à bout de nerfs, au bord des larmes. C'est limite si je devrais me faire porter pâle. Mais les enfants ont besoin de quelqu'un pour les soutenir.

—Samuel Allen ne peut assurer le Mentorat pour les Jeux de cette année, aussi le Capitole a décidé que je devais le remplacer pour l'Expiation. Je n'ai pas eu mon mot à dire, je n'ai même pas le temps de m'organiser. Et ce n'est pas comme avant parce cette fois-ci, qu'il y a Chase au milieu... »

Tiens. C'est nouveau, ça. Samuel qui évite le Capitole. En pleine année d'Expiation...

—Continuez.» dis-je d'un ton que j'espère encourageant.

Il faut que je me détende.
Mais c'est dur, avec mes entrailles qui se tordent et mes mains qui tremblent.

—J'ai besoin que vous vous occupiez de Chase pendant toute la durée des Jeux. J'ai réfléchi, je ne vois pas d'autres possibilités pour lui. Il est débrouillard mais... je ne peux pas le laisser seul. »

Je me mords l'intérieur des joues et commence à emmêler mes doigts. Oh, je rêverais d'avoir une corde entre les mains pour y faire des noeuds !

—Je vois ce que vous voulez dire.

J'hésite ensuite, je déglutis difficilement, on oeil toujours sur les Pacificateurs d'en face.

—J'aimerais pouvoir dire oui mais vous comprenez, il faut que j'en parle à Eliott. Les lois du ménage ne sont pas forcément les mêmes que celles de Panem. Mais sachez au moins que je ferais mon possible pour qu'il accepte.»

Je souris, essayant de détendre l'atmosphère. Les premières gouttes de pluie de l'orage s'écrasent sur les carreaux de la fenêtre.
Dehors, les cameraman et les Pacificateurs courent s'abriter dans l'Hôtel de Justice.

Codage by TAC

Allya semblait soudain gênée et c'était facile à comprendre : s'occuper d'un enfant était une lourde tâche. Ethan le savait bien, la pratiquant quotidiennement; or, avec un garçon turbulent qui passait sa vie à courir dehors, c'était loin d'être facile.
Ethan laissa un instant son regard dériver au dehors, comme ne cessait de faire son interlocutrice quand elle réfléchissait. On voyait de petits hommes en blanc continuer à préparer la place principale du District. Pour cela ils étaient appliqués et minutieux : il valait mieux éviter de se faire réprimander par leurs supérieurs, puisque l'on avait qu'une seule chance. Ils commençaient déjà à régler et installer les caméras, aidés par des caméramans colorés du Capitole. C'était une danse trépidante de couleurs et de blanc, donnant de loin l'impression que l'on assistait à un carnaval.

« Je vois ce que vous voulez dire. »

L'éleveur reporta son regard sur la jeune femme hésitante. Ses doigts s'entremêlaient, de la même manière que lui précédemment, sans le chapeau cependant. Ses yeux tentaient de s'échapper comme ses mains, redécouvrant de ci de là la décoration de sa maison. Elle cherchait ses mots. Etait-ce le meilleur moyen de refuser ? Il s'en voulait de l'embarrasser autant. Mais accepterait-il réellement qu'elle ne veuille pas s'occuper de son fils ? Non. Il insisterait jusqu'à arriver à un point de non-retour, tant la situation était désespérée. Ce serait idiot et parfaitement inutile, il le savait bien, mais il n'avait aucun autre recours.
Tout revenait au fait que le temps manquait. Avec l'indisponibilité de Samuel, le Capitole avait été pris au dépourvu. Celui-ci avait donc décidé de prendre Ethan au dépourvu. Et finalement, lui même n'avait pas eu d'autre choix que de prendre Allya au dépourvu.

« J'aimerais pouvoir dire oui mais vous comprenez, il faut que j'en parle à Eliott. Les lois du ménage ne sont pas forcément les mêmes que celles de Panem. Mais sachez au moins que je ferai mon possible pour qu'il accepte. »

Ah, tiens, le suivant sur la liste des gens pris de court serait Eliott. Ethan ne le connaissait pas, mais il savait que l'institutrice était fiancée à un Pacificateur. Cela ne l'empêchait d'être humain et compréhensif, non ? L'éleveur inspira un coup, se demandant si Chase avait déjà eu un souci avec des Pacificateurs et souhaitant fort que ce n'était pas le cas, puis tenta de répondre d'un ton détaché :

« C'est très gentil de votre part et je suis sûr que vous avez des arguments très persuasifs. »

Au dehors, la pluie se mit à tomber, et le vent soufflant apportait un peu de fraîcheur et une agréable odeur d'humidité. Après la journée harassante de chaleur, cette averse était la bienvenue. Levant les yeux vers le ciel, Ethan vit que les nuages étaient noirs et furent rapidement accompagnés par le tonnerre. Plus qu'une averse, c'était un orage qui s'abattait sur le District
Cela laissait le temps à l'éleveur pour réfléchir.
Une idée lui avait traversé l'esprit tandis qu'il regardait l'orage arriver. Et s'il allégeait la charge d'Allya ? En se remémorant toute à l'heure la maison qui l'attendait dans le village des Vainqueurs, il avait trouvé un endroit bien plus proche que le haras. Celui-ci avait été construit assez loin de la ville, là où les prairies s'étendaient à perte de vue au milieu des collines et des vallées. L'endroit était tellement éloigné qu'Ethan devait amener le petit garçon tous les matins à l'école à cheval.
Or, cette maison permettrait au petit garçon d'avoir accès à tout ce dont il aurait besoin à pieds.
Ethan se concentra à nouveau sur l'institutrice et lui exposa sa réflexion :

« Ecoutez, une idée m'est venue. Et si Chase loge près de la ville ? Vous n'auriez qu'à lui faire à manger et s'assurer qu'il vienne à l'école. J'ai largement de quoi vous aider financièrement pendant cette période, ne vous inquiétez pas. »

Il eut un petit sourire en ajoutant :

« Si cela peut aider vos arguments persuasifs. »

Spoiler:

« Un service à rendre »

Allya & Ethan

Je souris, suit le regard d'Ethan qui transperce ma fenêtre. Les Pacificateurs s'activent toujours sur la place. L'annonce de l'Expiation d'hier soir n'a pas eu l'air d'affecter Ethan tant que cela. Bizarre. Il n'a pas l'air de vouloir entrer dans l'arène avec ses tributs. Heureusement, je ne me verrais pas regarder Ethan tuer d'autres gamins, avec la compagnie de Chase. D'ailleurs, je ne vois pas comment je pourrais refuser sa garde à Ethan. Je ne vais pas refuser. J'ai déjà des idées d'arguments «persuasifs» à soumettre à Eliott. Il ne me refuse jamais rien. Et puis ce n'est que le temps des Jeux, non ? Il va comprendre. Jamais Eliott ne m'a parlé d'une rixe entre Chase et des Pacificateurs. Pourtant, dès que l'un de mes élèves a un problème de ce genre, il me supplie souvent d'intervenir. C'est un Pacificateur qui n'a jamais laissé tomber son humanité. Evidemment, sinon jamais je n'aurais accepté sa demande.
J'analyse le visage d'Ethan à la dérobée. Il essaye de se montrer impassible mais reste inquiet. Et si Eliott ne m'avait pas tout dit, pour une fois ?
Je refoule ces pensées au loin. Pas envie de songer que Chase aurait pu poser problème à un Pacificateur. C'est impossible de sa part. Sinon, il ne savait pas ce qu'il faisait. Et Eliott le saurait et m'aurait demandé de plaider en faveur de Chase.
Donc, il ne s'est rien passé. CQFD.

—C'est très gentil de votre part et je suis sûr que vous avez des arguments très persuasifs.»

J'offre un sourire qui se veut apaisant à Ethan.

—Oh, ne vous inquiétez pas pour cela, dis-je d'une voix douce. Je saurais le faire accepter. Et Chase n'a jamais eu de problèmes, sinon Eliott m'en aurait avertie.»

Je prie pour que cela détende Ethan. Je croise discrètement les doigts, comme une gamine. Les enfants déteignent sur moi, parfois. Je hausse tout de même un sourcil alors qu'Ethan détache son attention de la vitre.

— Ecoutez, une idée m'est venue. Et si Chase loge près de la ville ? Vous n'auriez qu'à lui faire à manger et s'assurer qu'il vienne à l'école. J'ai largement de quoi vous aider financièrement pendant cette période, ne vous inquiétez pas. »

L'orage commence. D'abord la pluie, qui tombe d'un seul coup. Sans prévenir. Sur la place, c'est le branle-bas de combat. On dirait des fourmis qui courent pour échapper au pied d'un homme.
Premier éclair. Le tonnerre suit au bout de quelques secondes.

— Si cela peut aider vos arguments persuasifs. »

Je me lève pour aller fermer la fenêtre. La place est devenue déserte en l'espace de dix secondes à peine. Et la scène de la Moisson est déjà trempée.
Sourire fugace qui étire mes lèvres. J'aime quand le boulot des Pacificateurs est empêché par la force de la nature.
Je balaie sa deuxième réplique de la main. Ne vous inquiétez pas pour Eliott, Ethan. Je sais comment me débrouiller pour ce genre de choses.

—Je n'ai pas forcément besoin d'aide financière, je réponds. Si vous pensez plus juste de le faire habiter au Village des Vainqueurs, c'est une bonne idée, je passe par là pour me rendre à l'école. Ce sera nettement plus simple. Chase pourra suivre les Jeux avec moi. Du moins une partie...»

Codage by TAC

Ethan était incapable de se détendre. Ces dernières semaines s'étaient soudain tellement accélérées qu'il était désormais à cran, sur le qui-vive, prêt à réagir à toute nouvelle mauvaise nouvelle, se retrouvant beaucoup plus émotif qu'à son habitude. Chose qu'il n'aimait pas. Cela lui donnait l'impression qu'il marchait sur des sables mouvants menaçant à chaque instant de se dérober. Il fallait pourtant qu'il se ressaisisse au plus vite. Il le devait aux deux Tributs prochainement tirés au sort. Si déjà il refusait de retourner dans l'arène...
Il y eut un éclair. Ethan tourna lentement la tête et admira la folle débandade qui avait lieu sur la place. Avec un peu de chance, cette pluie torrentielle détruirait toutes les installations pour la Moisson. Peut-être même serait elle retardée, laissant à l'éleveur plus de temps pour son fils ? Depuis l'Annonce, il ne cessait de regretter de ne pas passer plus de moment avec lui, d'être tellement exigeant que celui-ci ne l'avait jamais appelé « Papa ». Alors que lui ne cessait de le désigner comme étant son « fils ». Triste réalité.
Allya se leva pour fermer la fenêtre et Ethan l'observa. Un sourire apparut sur le visage de l'institutrice, dégageant d’elle une certaine atmosphère de satisfaction. Elle balaya au même moment l'aide de l'éleveur de la main et lui répondit :

« Je n'ai pas forcément besoin d'aide financière. Si vous pensez plus juste de le faire habiter au Village des Vainqueurs, c'est une bonne idée, je passe par là pour me rendre à l'école. Ce sera nettement plus simple. Chase pourra suivre les Jeux avec moi. Du moins une partie... »

Ethan acquiesça doucement en entendant qu'Allya approuvait son idée, bien que cela ajoutait à son emploi du temps chargé le nettoyage d'une maison dans laquelle il n'avait jamais mis les pieds. Mais quelque chose dans la phrase de l'institutrice dénotait qu'elle avait une question. Celle-là même qui pendait aux lèvres de chaque parent du District. Au sujet de Samuel pour les moins informés, au sujet d'Ethan pour les plus informés.
Le Mentor du District Dix irait-il cette année dans l'arène ou pas ?
Pouvait-il simplement divulguer sa réponse devant elle ? Quelle qu'elle soit, elle déstabiliserait l'institutrice. Qu'il accepte de partir avec les Tributs et Allya ne pourrait supporter avoir à réconforter Chase. Qu'il refuse de sacrifier sa vie et elle verrait un lâche, un fuyard.
Et si la vérité se trouvait là ? Pour la première fois de toute sa vie, Ethan sentit une culpabilité profonde saisir son coeur. Il avait mis des mots, les mots. Et il n'assuma pas, respirant un grand coup pour tout chasser, changeant de sujet pour pouvoir se concentrer sur autre chose.

« Je n'avais jamais dit à Chase que j'avais gagné les Jeux, déclara-t-il simplement. Avant qu'il ne se passe tout ce qu'il se passait, je pensais être enfin devenu un inconnu pour le Capitole, un gagnant parmi tant d'autres qui ne valait plus la peine d'être mentionné. Je ne pensais le lui apprendre que l'année prochaine, vous comprenez, le préserver avant qu'il ne soit moissonnable. »

Ethan se remémora cette soirée qu'il avait passée avec un Chase silencieux qui observait les images que le Capitole voulait bien donner des Jeux. Il se rappela la peur, l'incompréhension mais surtout, surtout, l'absence de parole de son fils. Et cette pensée, qui vint en cet instant franchir ses lèvres dans un souffle.

« Les témoignages d'un Tribut sont toujours plus sombres et terribles que ce qu'une propagande offre. »

Encore une fois, Ethan se dit qu'il devait se ressaisir. Cette fois là, il n'avait plus envie. Il expliqua néanmoins d'une voix plus basse :

« Il a regardé l'émission du Capitole après l'Annonce. C'est lui qui l'a décidée. Montrez lui donc ce que vous supporterez vous-même, ni plus, ni moins. »

HRP:

Il me suffit de fixer Ethan pour que toute ma belle détermination se mette à fondre doucement, petit à petit. Comme la pluie qui s'écoule maintenant sur la fenêtre. Je détourne le regard, dirige mes yeux vers la place, incapable de continuer à voir Ethan. C'est vrai. L'Expiation. J'avais oublié.... Presque. C'est tout moi, ça, ne plus songer qu'aux enfants dont je dois m'occuper alors qu'il y a beaucoup plus d'enjeux derrière. Ethan risque d'être renvoyé dans l'arène. Je me tourne vers lui, ferme les yeux un instant. Incapable de me mettre à sa place, j'inspire profondément. Je joints mes mains pour me donner une contenance.
J'étudie son regard indéchiffrable sans rien trouver, contrairement à mon habitude. Normalement, j'arrive toujours à trouver ce qui met mes interlocuteurs mal à l'aise pour ensuite les entraîner quelque part où ils seront moins sur la défensive. Mais... Là, je me heurte à un gouffre sombre. J'essaye de me contrôler mais je ne peux pas vraiment m'empêcher de m'agiter doucement sur ma chaise. Je pense à Samuel, comment j'avais essayé de retrouver le Samuel d'avant les Jeux. Je soupire, regarde le sol et écoute Ethan. Parce que sincèrement, je n'ai aucun pouvoir.

« Je n'avais jamais dit à Chase que j'avais gagné les Jeux, dit Ethan. Avant qu'il ne se passe tout ce qu'il se passait, je pensais être enfin devenu un inconnu pour le Capitole, un gagnant parmi tant d'autres qui ne valait plus la peine d'être mentionné. Je ne pensais le lui apprendre que l'année prochaine, vous comprenez, le préserver avant qu'il ne soit moissonnable. »

Je hoche lentement la tête. Je comprends. J'aurais fait pareil.

- Il l'aurait su bien assez tôt de toute façon, dis-je doucement, que ce soit de votre bouche ou à la télé. Même si vous n'aviez pas été le mentor cette année, il l'aurait appris quand même quand vous aurez dû monter sur l'estrade pendant la Moisson.

Je m'y prends peut-être mal mais c'est la vérité. Qu'ils soient mentors ou pas, les Vainqueurs sont toujours détachés des jeunes ou des adultes et sont exposés à tout le District, que dis-je, à tout Panem, et doivent eux aussi être présents sur l'estrade pour la Moisson.

« Les témoignages d'un Tribut sont toujours plus sombres et terribles que ce qu'une propagande offre. »

Je prie pour essayer de me contrôler. Ce n'est pas à moi que l'on doit apprendre ce genre de choses... Je hoche simplement la tête.

- Je sais.

On ne peut pas imaginer réponse plus...évasive. Mais que puis-je dire devant lui ?

« Il a regardé l'émission du Capitole après l'Annonce. C'est lui qui l'a décidée. Montrez lui donc ce que vous supporterez vous-même, ni plus, ni moins. »

Mes mains tremblent, je les rapproche de moi. C'est un réflexe, de se recroqueviller comme je le fais maintenant. Comme si se transformer en boule solide pouvait mieux me protéger.
Je reconnais bien Chase là-dedans. Il n'aime pas ce qu'il ne connait pas.

- Il dira aussi si il se sent capable de regarder, je rectifie d'une voix douce que j'espère assurée. Je le fais parce que j'en ai besoin, j'ai besoin de savoir ce qu'il se passe parce que tout le temps, je connais les tributs envoyés dans l'arène.

Je me lève et m'approche de la fenêtre.

- Selon la violence de la mort, on est plus ou moins affecté. La plupart du temps, on soutient son champion et on pleure quand il est tué. Mais pour Chase... Si il est moissonnable, selon la violence de la mort du tribut masculin, il sera plus ou moins atteint. Plus ou moins parce qu'à douze ans, après qu'on ait échappé à sa toute première Moisson, on se rend compte que ça aurait pû être nous à la place de se garçon qui vient de mourir devant tout Panem. C'est pour ça que ce n'est pas à moi de décider ce qu'il doit regarder ou pas.

Je souris tristement.

- J'espère que j'ai expliqué clairement ce que je voulais dire...

Regard plein d'espoir vers Ethan. Et tout de suite, je me concentre de nouveau sur les Pacificateurs qui attendent que la pluie cesse.

HRP :
Spoiler:

Allya se sentait mal à l’aise, ça se voyait. Ethan n’aimait pas forcément parler de cela, ni même mettre les gens mal à l’aise. Mais, tant qu’à rester coincés dans cette maison par la pluie avec une personne qui devait lui rendre service, autant tenir la conversation. Bien que le sujet ne fût pas des plus agréables, au moins, il recoupait leur principal point commun : Chase.
Mais une certitude passa dans les yeux d’Allya, et le ton qu’elle employa se rapprocha de celui qu’elle devait employer avec ses élèves. Ethan eut soudain l’impression d’avoir non plus une jeune femme mais un professeur devant elle.

« Il dira aussi si il se sent capable de regarder. Je le fais parce que j'en ai besoin, j'ai besoin de savoir ce qu'il se passe parce que tout le temps, je connais les tributs envoyés dans l'arène. »

Ethan, toujours assis sur la chaise et penché vers ses genoux sur lesquels il avait posé ses mains, se redressa et s’adossa contre celle-ci, les bras et les pieds croisés. Il regardait silencieusement la jeune femme et l‘écouta, intéressé, tandis qu‘elle tournait ses yeux au dehors. Cette fenêtre était décidément des plus inspirantes puisque la jeune femme continua :

« Selon la violence de la mort, on est plus ou moins affecté. La plupart du temps, on soutient son champion et on pleure quand il est tué. Mais pour Chase... Si il est moissonnable, selon la violence de la mort du tribut masculin, il sera plus ou moins atteint. Plus ou moins parce qu'à douze ans, après qu'on ait échappé à sa toute première Moisson, on se rend compte que ça aurait pu être nous à la place de se garçon qui vient de mourir devant tout Panem. C'est pour ça que ce n'est pas à moi de décider ce qu'il doit regarder ou pas. »

Un râle sonore traversa la pièce. Ethan baissa les yeux, tout à sa réflexion.
Qui pouvait laisser consciemment un gamin de onze ans voir le sort qui pourrait lui arriver ? De plus quand ce gamin était son fils ? De plus quand ce gamin avait vécu un traumatisme le laissant partiellement amnésique ? Ou peut-être ne voulait il lui-même pas se remémorer les Jeux. Parce que dans la balance rentraient les siens, et ceux de son frère. Son frère…
Ethan vit le sourire perdu d'Allya.

« J'espère que j'ai expliqué clairement ce que je voulais dire... »

Elle lui lança un regard plein d’espoir. Ethan, lui, sentit ses lèvres s’étirer malgré lui tandis qu‘il tentait de détendre l‘atmosphère.

« Aussi claire qu’un maître d’école, je me suis même cru retourné en salle de classe. Mais je ne me souviens pas avoir eu un professeur aussi intéressant. »

Le tonnerre gronde au loin. Ce n’était pas réellement l’effet qu’attendait Ethan, qui espérait que Chase avait eu le temps de rentrer les chevaux, mais passons. De toutes façons, il ne pouvait qu’attendre de rentrer pour constater ce qui avait, ou non, été fait.
Mais ce tonnerre eut pour effet de ramener Ethan à ses réflexions quant à ce qu’avait dit Allya. C’était Chase qui saurait à quel point il était affecté, peut-être, mais commencer la découverte des Jeux par une Expiation ? Quel parent, désireux du meilleur bien possible pour son enfant, le laisserait tout voir ? Il fallait dire qu’Ethan n’aurait pas le moyen de contrôler cela, étant absent. Il y avait mieux, comme parent.
Et voici que l’image d’un Tribut qui savait ce qui l’attendait se présenta à lui. Son visage était net, clair, tant qu’Ethan eut un haut-le-cœur. C’était son frère. Shaun qui, lorsque son nom était sorti de l’urne, s’était tout de suite avancé, la tête haute, les yeux vifs, mais le regard résigné à son sort. Shaun qui savait ce qu’était une arène, puisque son propre frère y avait été mêlé, celui là même qui avait partagé sa vie et qui s’en était enfui après avoir survécu. Et cela ne l’avait pas aidé lui, à s’en sortir.

« Je ne pense pas qu’il ait encore l’âge pour décider. »

Ethan tentait d’attraper le regard d’Allya pour lui répondre.

« J’ai connu un Tribut qui était mature et savait parfaitement ce qui l’attendait quand il fut tiré. Chase a beau être débrouillard, il n‘est pas de la même tempe. Sans vouloir vous offenser, Allya, j’ai été dans l’arène, et rien ne peut nous préparer à cela. Rien ne peut vous préparer à la culpabilité d’enlever la vie d’un gosse qui pourrait avoir l’âge de votre petit frère. »

Ethan avait capté les yeux pleins de vie de l’institutrice.

« Nous en venons à discuter comme si nous avions le choix de ce que sera la vie de Chase. Seulement, ce n’est ni moi son père adoptif, ni vous son institutrice qui choisissons quelle sera sa vie. C’est le Capitole, et avec lui le sort, qui aura le dernier mot. Comme il l’a en ce moment avec moi, alors que j’étais réfugié dans mes grands prés depuis la victoire de Samuel. »

Une pensée pour des Mentors qui vivaient bien pire traversa son esprit.

« Et je peux m’estimer heureux… Je crois. Car qui peut deviner ce que l’Expiation réserve encore ? Quelle conséquence aura le choix es Mentors sur leurs Tributs ? »

Tributs qu’Allya connaissait depuis qu’ils étaient tout petit.

HRP: