Mission spéciale

Mission spéciale

« Les eaux pénétrèrent jusqu'à mon âme, j'enfonçai dans la vase de l'abîme, je perdis pied, j'entrai dans les eaux profondes et les flots me submergèrent.»
La lecture de la Bible était devenue ma toute dernière curiosité. J'avais une passion secrète pour tout ce qui datait de l'époque où les Etats-Unis n'étaient pas encore des Districts. Ces gens paraissaient si loin des habitants de Panem … Ils avaient le temps. Le temps d’écrire, de s’amuser, de profiter … Qui écrivait encore des livres aujourd’hui, sinon les habitants du Capitole ? Je ne pouvais m’empêcher de rêver à cette vie, pleine de frasques et de divertissements. Je n’avais certes pas à me plaindre : ma famille avait de l’argent, et je ne connaissais rien à la famine ni à la privation. Mais tel un homme assis trop longtemps dans un fauteuil confortable aspire à se dégourdir les jambes, je ne rêvais que d’aventure. Cela pourrait ressembler à s’y méprendre aux divagations d’une jeune riche à la recherche de frissons, mais il n’en est rien. Ma vie défile devant mes yeux chaque jour comme si j’étais déjà morte. Reprendre le travail de mes parents, vivre une longue et belle vie à l’abri de la pauvreté. C’était tout ce à quoi ma famille aspirait, car la pauvreté a grise mine aux yeux des habitants de notre District. Ils n'imaginent pas une pauvreté honnête et laborieuse ; ce mot évoque les guenilles, les foyers sans feu, la famine, la grossièreté et le vice, il est synonyme d'avilissement. Ainsi ma vie était déjà toute tracée, écrite par tous ceux qui étaient passés avant moi. Mais la tranquillité était loin de me satisfaire; il me fallait de l'action. En cette soirée paisible, je lisais donc la Bible en songeant, avec envie, à quel point il serait doux pour moi de participer aux hunger games, et de venir vivre dans le village des vainqueurs, sans pression aucune me poussant à faire un travail auquel je n’aspirais pas. Mes parents étaient sortis manger dehors, ce qui laissait à mes pensées tout l’espace de la maison pour s’envoler.

Un peu plus tard, alors que je venais de reposer ma lecture, quelqu’un frappa pressement à la porte. C’était étrange, car je doutais fortement de voir mes parents rentrer de si bonne heure, et que je n’attendais personne. Zane ne devait pas passer ce soir, et il prévenait toujours. Lui aussi semblait aimer la planification de sa vie. Non, j’ignorais bien qui pouvait vouloir me déranger à une heure si tardive. Deux autres coups se firent entendre, cette fois si plus rapides. Dans l’entrebâillement de ma porte se tenait une créature frêle qui avait l’apparence d’une enfant. Elle me fixa un court instant avant de s’avancer comme pour entrer chez moi.

◮ S’il vous plait. Un Pacificateur me cherche, laisser moi entrer je vous en prie.

Je regardais cette apparition, perplexe. Mais ce fut relativement de courte durée étant donné mon ennui et mon désir brûlant de perturber ma vie. Je me poussais pour la laisser passer. La vérité n’était certainement pas que j’avais l’âme d’une justicière. Elle n’aurait pas pu être plus loin que cela, pour ne rien vous cacher. J’admets volontiers que les pacificateurs sont bien souvent trop zélés, mais je m’entends assez bien avec bon nombre d’entre eux. Non, ce qui me poussait n’était pas un accès soudain de bienveillance, mais bien une curiosité démesurée. Il semblait évident que demander à mon invité n’était pas une option. Mais j’avais l’art et la manière d’amener les gens à me faire des confidences, alors quelle difficulté aurais-je à le faire avec une simple enfant ?

◮ Regarde-toi, tu sembles exténuée. Voudrais-tu grignoter quelque chose ?

J’avais pour l’occasion pris la voix la plus suave que je possédais, et j’étais heureuse de ne pas avoir de miroir pour contempler l’air niais et mielleux que je devais avoir. Mais l’enfant me fit un large sourire tout aussi niais, ce qui me conforta dans l’idée que je satisferais sans peine ma curiosité. Je sorti une boîte de gâteaux secs et lui en tendit un. Elle le dévora en quelques secondes. Visiblement, sa famille n’était pas l’une des plus aisées du District.

◮ Excuse ma franchise mais … Tu vas devoir partir.

La gamine me fixait avec de grands yeux ronds, et je la soupçonnais d’être plus maligne qu’elle ne le laissait paraître. Visiblement, elle avait déjà dû en apitoyer plus d’un avec un tel regard. La pauvre enfant avait frappé à la mauvaise porte : la pitié n’était pas ma plus grande qualité.

◮ Je suis navrée, mais je connais de nombreux pacificateurs ici, et je ne tiens pas à ce que l’on te retrouve chez moi en possession d’objets volés.
◮ Je vous assure que je n’ai rien volé madame.

Madame. J’avais à peine vingt ans … Mais je ne me formalisais pas, mon petit stratagème fonctionnait comme prévu.

◮ Du braconnage, peut-être ?
◮ Non je … Je n’ai aucune trace sur moi … J’ai juste … J’ai fredonné un air que j’avais entendu et, le pacificateur a cru reconnaître un chant de rébellion.

J’étais admirative. Cette petite avait beaucoup de talent, et j’aurais presque pu penser qu’elle disait la vérité, si elle ne jouait pas nerveusement avec la nappe, en la faisant rouler entre son pouce et son index. La rébellion était une chose qui m’intriguait également. Je ne savais pas vraiment qu’en penser, si ce n’est que, malgré le fait qu’en théorie l’idée de provoquer un peu le Capitole, et de pouvoir libérer un peu de son venin sur ce-dernier paraissait attirant. Très attirant. Deux nouveaux coups à la porte retentirent. Je posais mon index sur les lèvres de la fugitive avant de lui murmurer …

◮ Dans le placard.

Elle obtempéra, et j’ouvris la porte d’entrée.

Réponse mission spéciale

Le pacificateur avait pris l’initiative de faire une ronde dans les quartiers les moins aisés du district un. La pêche avait été bonne : il avait entendu un chant rebelle. Seulement, lorsqu’il s’était approché pour prendre l’enfant qui le chantait, des femmes avaient fait tomber des cagettes de pommes, permettant à la jeune fille de s’enfuir, tout en prétextant une maladresse. C’était inadmissible, et il s’occuperait d’elles plus tard, mais la jeune était son objectif de la soirée : il fallait éliminer les mauvaises graines en priorité. On ne pouvait pas laisser ce genre de chose se produire, qui plus est dans un district riche où la plupart des gens ignoraient même l’existence des rebelles ou les méprisaient. Et puis, la plupart des gosses du district se connaissaient, trainaient ensemble : les rumeurs de ce type, croustillant événement dans un district si calme, se propageaient très vite... Il était hors de question qu'il laisse une misérable enfant empoisonner l’esprit des futures carrières du district, la fierté de leur population.

Ce ne fut pas bien difficile de la suivre, elle courait vite certes mais elle ne faisait pas attention à ses petits pas qui s'inscrivaient facilement dans les graviers des quartiers pauvres. Quand elle prit la direction des quartiers riches, elle fut plus difficile à pister mais ce pacificateur avait de l'expérience : elle ne saurait pas le berner. Il la suivit donc à la trace jusqu’à la maison des … Featherstone. Deux anciens gagnants des jeux avaient grandi ici, aussi fut-il surpris de penser qu’un rebelle aurait pu trouver refuge ici … Ce n'était pas une famille comme ça, si elle était chez eux c'est qu'elle avait dû leur mentir ou bien ils étaient de ceux qui cachent bien leur jeu...

Il chercha à observer par la fenêtre mais les rideaux étaient trop épais pour qu’il puisse y voir clairement. Il frappa donc à la porte avec prudence. On ne pouvait pas simplement accuser l’une des plus riches familles du district de cacher une rebelle, il fallait prendre des gants… Cela pourrait lui coûter sa carrière, voire son quotidien confortable vu l'influence qu'avaient les deux vainqueurs... Une jeune femme répondit qu’elle arrivait et ouvrit rapidement la porte, habituellement cacher un rebelle prenait plus de temps... Pourtant, la gamine l'avait bien mené ici...

Avec ces traits encore doux malgré le caractère de feu que tous lui connaissaient, il reconnut rapidement la cadette de la famille, qui était plus que connue par les pacificateurs pour...ses mœurs plutôt légères. Il l’avait déjà rencontré, mais la connaissait sans la connaitre.
« Bonjour Mademoiselle Featherstone, excusez-moi de vous déranger si tard mais j'essaye de retrouver une jeune fille qui semble s'être perdue. Elle a été vue dans ce quartier il y a peu, vous ne l’auriez pas vue passer par hasard ? »

Il la fixa un instant de toute sa hauteur, il voulait lui montrer son pouvoir sans pour autant paraître trop menaçant : il savait que peu de choses impressionnaient les carrières et ce n'était certainement pas une expression sévère qui lui ferait ouvrir la bouche... Cependant, les pas menaient tout droit chez elle. Il était donc certain que la gamine s'y trouvait, ce qui rendait la situation compliquée. Toutefois, si elle niait il n'hésiterait à faire son devoir...

Mission spéciale

◮ Bonjour Mademoiselle Featherstone, excusez-moi de vous déranger si tard mais j'essaye de retrouver une jeune fille qui semble s'être perdue. Elle a été vue dans ce quartier il y a peu, vous ne l’auriez pas vue passer par hasard ?

Le pacificateur me regardait de haut sans vraiment me toiser. Je retins un demi-sourire. Visiblement, ma famille lui faisait peur … Mais je ne montrais rien de l’amusement que cela me procurait. Après tout, famille riche ou pas les pacificateurs étaient les représentants du Capitole dans les districts, ils y faisaient régner sa loi. Il n’était pas question de se moquer d’eux ouvertement. Il m’aurait posé la question directement, j’aurais surement répondu. Surement. Mais là, il me prenait vraiment pour une idiote. Retrouver une jeune fille qui semble s’être perdue … C’était soit un énorme mensonge, soit une façon très poétique de sa part pour dire que la jeune fille était une rebelle qui avait « perdu sa voie ». Mais j’optai plutôt pour le premier choix.

◮ Comme c’est attentionné de votre part ! Le District un n’est pourtant pas si grand … Je m’excuse, mais il ne me semble pas avoir croisé de jeune fille qui semblait … Perdue.

Je prenais soin d’insister sur le mot perdue.

◮ Toutefois peut-être que si vous m’en donniez une description plus précise je serais à même de vous aider, on voit tout un tas de gamin passer par ici. Voulez-vous me la décrire autour d’un verre ? Il fait un froid à réveiller les morts dehors. Et puis, traquer les enfants perdus doit être fatigant …

Je fis mine de frissonner et me plaçai en biais à la porte pour lui laisser le chemin libre.

◮ Un thé bien chaud vous conviendrait-il ?

Je lui offris mon regard le plus aguicheur possible avant de mettre de l’eau à chauffer.