Lately, I've been... |PV|

«Lately, I've been...»

L'après-midi était à peine entamée, et bien qu'on m'ait toujours appris que c'était le moment des heures les plus chaudes de la journée, je restais sceptique. Le soleil brillait assez bas, mais ne réchauffait strictement rien. Les mains gelées, je n'avais pourtant pas l'occasion de pouvoir les réchauffer. Elles étaient bien solidement ancrées sous le carton imposant que je portais. Avec un regard noir pour les Pacificateurs qui me regardaient porter ma charge sans esquisser le moindre geste, je m'éloignais vivement de la gare.

Oubliant vite ma première mission qui était de ramener ces livres à l'école du District, je commençais à flâner dans les rues. Partout, une vive odeur de bois neuf se répandait, offrant à n'importe quel ignorant le privilège de deviner le travail du Sept. Le bois, le papier. Nous, c'était le textile, tant et si bien que la Directrice d'école de mon District avait insisté pour me voir partir correctement vêtu. Convenablement couvert, avec des vêtements propres et sans un trou, j'étais censé donner une image correct du Huit. Montrer que les vêtements dont nous abreuvons le Capitole nous servent à nous aussi. Ce qui, quand on ne ramène pas des livres au District voisin, n'est fichtrement pas le cas.
Je regardais les gens me jeter des regards intrigués, voire apeurés pour certains. Nos Districts ne produisent pas la même chose, et pourtant nous somme fort semblables. Un inconnu, un étranger est souvent synonyme de Pacificateurs, et donc de problèmes. Avec un coup d’œil derrière mon épaule rendu difficile par le fameux carton, je m'assurais de ne pas être suivi. Effectivement, les hommes en blanc m'avaient laissé tranquille. S'ils avaient vraiment craint quelque comportement abusif de ma part, ils m'auraient escortés directement du train à l'école, puis de l'école au train. Voire se seraient chargés d'y apporter les livres. Un pauvre gamin du Huit avec comme mission un carton de livres à offrir à une école ne doit pas être dans la liste de leurs priorités. Pas des plus dangereux, effectivement.

D'un bon pas, pour éviter de geler sur place, je suivais une rue qui me semblait correspondre à une artère. Logiquement, les rues passantes mènent à des endroits stratégiques, aussi bien dans une ville que hors des Districts. La règle est la même partout, et je me retrouve sur une place bordée de petits commerces. Si ce n'est les différences de richesse selon les Districts, la géographie et l'architecture reste passablement la même. Panem est construite des mains de nos ancêtres, déjà dirigés par le Capitole. Rien ne reste des grandes villes qui parsemaient notre territoire, si ce n'est les dépouilles des habitants, ensevelies depuis fort longtemps. Et le Capitole, même à l'époque, ne devait pas s'encombrer d'un architecte pour donner une identité à chacun de ses Districts asservis. Simplement une différenciation dans le domaine de travail, et voilà. Par une pensée éloignée, je me demandais un instant si ce ne pouvait pas être un leurre, de tout mettre au même endroit et de faire penser de même. Et, au final, de tout déplacer, caché aux yeux des gens. Les hommes du Capitole d'hier étaient tout aussi intelligents que ceux d'aujourd'hui.

Commençant à sentir le lourd poids des livres dans mes bras endoloris, je me résignais à stopper ma divagation et à chercher la fameuse école. Bien évidemment, à Panem, ni panneau ni carte des lieux. Juste une fugace hostilité qui force les gens à s'écarter de vous dès que vous vous apprêtez à leur demander un simple chemin. Ne voulant pas prendre le risque de poser les bouquins au sol et de les abîmer, je me décidais à aborder quelqu'un, bien que ce ne soit clairement pas dans mes habitudes. Avec un grand sourire, je jetais mon dévolu sur une jeune fille, sensiblement plus âgée que moi, mais loin des mères de famille acariâtres qui tournaient devant les magasins un peu plus loin.

- Bonjour ! Excusez-moi, mais je cherche l'école du District, j'ai une "commande" à livrer.

Certes, nous sommes loin d'une commande, ce ne sont que de simples livres qui sont en trop chez moi. Mais je supposais avoir mis assez d'ironie sur le mot pour que ce soit compréhensible.

On était vers la fin de l’après-midi. Une après-midi chaude, dans ce district-ci. Cléo réfléchissait, sortant pour chercher à manger, comme à sa bonne vieille habitude. Chercher à manger, nourrir ses frères et sœurs. Laisser ses parents travailler. Elle ne devait pas traîner, elle devait être rapide, chercher de la nourriture. Elle gardait le sourire, il faisait beau ! Chaud et beau ! Cléo refusait de se remémorer Zéphyr, pas aujourd’hui. Pas alors qu’elle avait d’autre chose à faire. De plus, quand elle était occupée, elle parvenait, bien que difficilement, à penser à autre chose, à ne pas penser à lui. Elle regardait devant les vitrines, rêvant à une vie sans faim, sans quête de nourriture… Elle souriait en regardant à travers cette vitrine, regardant les bons pains au repos, exposé fièrement à la devanture de la boulangerie. L’eau lui venait à la bouche. Ça avait l’air tellement bon… Les nourritures étaient bonnes, mais elle n’avait pas les moyens, ses parents avaient beau travailler d’arrache-pied, ça ne changeait pas. Elle poussa un léger soupire, avant de se diriger vers chez elle. Ça ne servirait pas à nourrir sa sœur. Et ne servirait pas à nourrir ses frères non plus. Rester plantée là, devant allait juste lui donner faim. Et elle devait laisser la nourriture pour ses frères et sœur. Eux, en avait encore beaucoup besoin. Ils étaient jeunes et il fallait qu’ils se nourrissent convenablement. Elle flânait et passa dire bonjour dans un magasin, dire bonjour à une vendeuse qu’elle trouvait sympa et qu’elle pouvait considérer comme son amie.

-« Bonjour !, dit-elle à son amie. »

-Aimie-« Oh ! Cléo, bonjour ! Comment va ta famille ? »

Cléo lui offrit un grand sourire, contente de la voir.

-« Ils vont bien. »

Nul besoin de lui dire qu’elle, elle n’allait pas bien, qu’elle avait connu mieux, qu’elle pensait à Zéphyr. Aimie le savait, elle se connaissait depuis longtemps, quand même. Cléo l’avait rencontrée il y a… 2-3 ans, alors qu’elle s’était évanouie, sous le poids de la faim. À l’époque, elle se privait plus que de raison, pour sa famille, et elle ne trouvait pas assez de nourriture. Elle ne réussissait pas à trouver, à tuer des animaux comme l’aurait fait de nombreux habitants, ici. Elle ne pouvait pas s’y résoudre… Comme ils le faisaient, même. Elle, elle ne le voulait pas. Elle ne voulait pas tués tout court. C’était cruel, inhumain.

Mais que dire ? Comment ne pas en vouloir au Capitole, dans ses moments de faiblesse-là ? Comment, alors qu’ils les tuaient, les emmenaient à la mort sans scrupules ? Comment ? Comment réagir alors que le fausser entre les riches et les pauvres se creusait de plus en plus de jours en jour ? Que dire ? Aimie la prit dans ses bras, pour la soutenir alors que, sans s’en rendre compte elle se laissait tomber.

-Aimie-« Cléo ! Assieds-toi. Là… »

Aimie l’obligea à s'installer sur un des sièges du magasin. Et, sans la prévenir allait chercher un morceau de pain.

-Aimie-« Manges-ça. Tu en as besoin, regarde-toi ! »

Cléo grimaça, puis secoua la tête négativement.

-« Non, ça va, je t’assure. Je n’ai pas besoin de manger ! »

Aimie soupira, puis lui tendit le morceau. Sans rien dire de plus, ne voulant pas en démordre. Cléo finit par soupirer et par manger le morceau.

-«Ça va, merci. Je trouverai de la nourriture, ne t’inquiètes pas. Je sais me débrouiller ! »

-Aimie-« Je n’ai jamais dit le contraire. Ce qui est énervant, avec toi c’est que tu es têtue. »

Cléo ne dit rien, puis au bout d’un moment, quand elle n’avait plus envie de pleurer, elle se leva, puis pris Aimie dans ses bras avant de lui dire au revoir, de lui rappeler qu’elle devait retourner chercher de la nourriture et de sortir du magasin avant de se diriger à grands pas vers chez elle. Au bout d’un moment, un jeune homme qu’elle ne connaissait pas et qui portait une caisse l’interpella.

-Garçon-« Bonjour ! Excusez-moi, mais je cherche l'école du District, j'ai une "commande" à livrer. »

Une commande ? Pour l’école ? Elle leva un sourcil, puis lui sourirait, amusée.

-« Bonjour, une commande ?, demanda-t-elle.»

Elle souriait toujours. Il avait mis beaucoup d’ironie sur ce mot « commande ». Ici, on fabriquait le papier, ce n’était donc pas difficile d’en trouver. Mais… Bref.

-« Vous tournez à gauche, puis à droite et encore à gauche, indiqua-t-elle. »

Elle le regardait de plus près. Il était habillé chaudement, et assez bien, il fallait l’avouer.

-« Vous êtes du district… ? Parce qu’il est évident que vous n’êtes pas d’ici. »

Elle souriait de plus bel, comme une idiote, pour le coup.

-« Vous voulez de l’aide ? Ce carton à l’air assez lourd, quand même. »

Elle resta, là, les mains tendues en guise d’accueil, en attendant qu’il lui réponde.