Devant un verre de whisky, peu après l’annonce de la gagnante de la 175ème édition des Hunger Games de l'année 2237.
« Son nom résonne comme une défaite à mes oreilles. Je m’imagine que les applaudissements préenregistrés retentissent déjà, je vois les petites mains de l’ombre commencer à s’agiter, j’entends les soupirs soulagés des juges devant la fin. Bien pire que tout, pourtant, je commence déjà à imaginer mon emploi du temps des prochains jours, et je maudis le nom de cette petite bécasse.
Séraphine ne m’avait pas écouté quand je lui avais dit que cette fille gagnerait sans aucun panache. Et depuis ce jour, les déceptions s’étaient enchaînées dans l’arène de sable : des Tributs peu poussés à bout, des favoris qui tombaient comme des mouches, des Carrières incapables de se soutenir ou de créer de la tension, des Mentors qui ne soutenaient pas leurs poulains… Les rumeurs d’ennui ont couru vite dans les bals, sous les lustres de cristal, jusqu’à ce que la Ministre des Hunger Games accepte enfin de précipiter la fin de l’Expiation.
Selena se plaint que son très bel Apollon se soit fait avoir par les beaux yeux de la fille du District Cinq, causant sa fin tragique. Qu’elle détourne les yeux du peuple sur la faiblesse visible, miroitante, du Capitole ; je lui accorderai une belle récompense dans les prochains jours.
Je porte le verre de Nikka à mes lèvres pincées. Toutes les dernières décisions de Waters nous ont amenés à cette extrémité, de sa gentillesse affichée envers les Districts jusqu’à son dernier projet en date. De la folie pure. Et certaine de la réussite de son entreprise, elle avait refusé tout Heureusement, Dame Nature s’était rappelée à la mémoire des mégalomanes. Et offre aujourd’hui aux ambitieux une occasion rêvée et sans précédent… À eux de la saisir.
Le soleil se lève à la fenêtre et, reposant mon verre, je me lève et je m’en vais.
»Un stylo à la main dans un bureau de la Noix, au District Deux, au jour de rentrée promotion 175 de la Pacification.
« Je suis assis dans le bureau, fenêtre ouverte, et j’entends en bas les premiers ordres que les jeunes hommes et jeunes femmes reçoivent en tant que Pacificateurs. Aujourd’hui, leur vie a changé, et un léger sourire paternel se dessine sur mes lèvres : malgré toute la tension des dernières semaines, ces jeunes gens n’échapperont pas au rituel d’accueil que leur ont réservé les élèves de deuxième année.
On toque à ma porte. Un formateur entre, un air soucieux sur le visage. Il m’explique de but en blanc que les effectifs ne sont pas assez conséquents cette année parce que les inscriptions pour le recrutement étaient déjà terminées bien avant l’attaque du District Un. Déjà soucieux, il m’ajoute ensuite que ces recrues viennent pour certains de découvrir l’existence réelle des rebelles et qu’ils sont inquiets face à ceux qu’ils qualifiaient de monstres, et qui ne sont en réalité que de misérables humains.
Je tapote la table avec un stylo : je suis aussi préoccupé que mon collègue. Evidemment, la plupart des recrues viennent des Districts supérieurs, aux yeux enfin ouverts. Je lui annonce pourtant calmement que j’ai reçu des directives, et que les prochaines inscriptions se dérouleront dans six mois, pour apporter les effectifs nécessaires à la surveillances renforcée dans les Districts. Que ces jeunes gens participeront à l’effort demandé par la capitale, notamment dans les quelques zones jugées à risques : les Districts périphériques, essentiellement, pour lesquels la Rébellion est une réalité semant sans fin la ruine.
Mon collègue prend ces informations au pied de la lettre : les entraînements seront plus durs que jamais, et les exigences plus élevées que jamais. Il a l’air satisfait, et sort sans demander son reste.
Moi, je suis inquiet : quels malheurs tomberont sur ces adultes à peine sortis de leurs foyers ?
»Une enveloppe en train de brûler dans le cendrier de la maison d’un teinturier au District 8, les mots rédigés là encore visibles.
« Décevante décision qui a été prise mais nous n’avions pas le choix : nous ne le privons pas à jamais de participer à notre cause, nous l’écartons seulement pour sa sécurité et la vôtre. Pour nous tous. Je vous rappelle que cette dernière doit toujours primer : si une solution extrême vous paraît la plus adaptée, n’hésitez pas.
Mon cher camarade, il ne vous aura pas manqué que les temps ont très rapidement changé. Nous avons réussi avec grand succès une mission au Capitole, et nous en récolterons rapidement les fruits. Malheureusement, l’action organisée au pied levé au District Un a causé la mort de l’un de nos enfants, et déclenché la paranoïa des Pacificateurs dans les rues, aux entrées des gares ou sur les réseaux informatiques. Jamais notre cause n’aura eu une portée aussi visible sur les pauvres habitants de Panem : nombre d’entre eux ont franchi le cap pour se joindre à notre combat pour la liberté, et ils sont toujours plus croissants.
Mais vous vous doutez bien que cette soudaine accélération apporte son lot de difficultés. Les forces de l’ordre ont commis des erreurs, en commettront d’autres, mais les prendre pour des imbéciles ne nous rendraient pas meilleurs. Ils ont une société fragile, mais elle existe ; des hommes et des femmes du peuple se détournent d’eux, mais des milliers continuent à les nourrir ; ils ne défendent pas la liberté ou un avenir meilleur, ils assurent un certain ordre et une illusion de stabilité. Votre rôle, dans les Districts, est d’offrir un avenir à la jeunesse et de rappeler à leurs parents le passé.
Gardez les yeux de vos protégés grands ouverts, pour que nous ne répétitions pas les fautes de nos pères, et que nos enfants vivent enfin dans le monde que nous leur construisons.
»