Entretien d'embauche

J'avais passé la nuit à l'entreprise. Il m'était insupportable en ce moment de dormir dans la maison au village des Vainqueurs. Je bossais de manière assidu sur un nouveau projet pour les chariots de défilés. Une sorte de détonateur pour enclencher des mécanismes à distance. J'y passais tout mon temps. Je ne sortais plus. Ma mère m'apportait à manger, dans le dos de mon père. Sans ça je m'alimentais peu. Ça faisait des mois que je n'avais pas vu Annabelle. Mon père disait qu'elle venait quand je n'étais pas là. Qu'elle passait plus souvent quand j'étais au Capitole.

Cette année l'entreprise marchait bien et mon père avait fait des annonces pour recruter du personnel. Il m'avait obligé à faire les entretiens d'embauche. C'était bien ma veine. Mais il avait prétexté que la personne bosserait avec moi, et que de ce fait, je devais la choisir moi même. Non sans bougonner et m'y opposer, j'ai finis par accepter sous la pression. Comme souvent, quand j'arrêtais ou diminuais l'alcool, je devenais plus...docile.

Ce jour là, je me réveillais en sursaut en entendant les talons de Prudine sur le parquet du bureau. "Monsieur Flemyng ! Monsieur Flemyng réveillez-vous, votre rendez-vous est arrivé !" Je ronchonnais et jurais copieusement. "Il patiente dans la salle d'attente." Je lâchais un vague merci sans conviction. J'avais horreur d'être réveillé en sursaut. Je mis quelques secondes à resituer où j'étais. Il était inutile de vous dire où mes rêves m'avaient une fois de plus porté. "Un café noir, un double, un double s'il vous plait Prudine !" Elle quitta la pièce dans un nouveau claquement de talon.

Je me levais du fauteuil qui m'avait servi de lit cette courte nuit et m'installa dans mon siège derrière le bureau, plissant les yeux et me massant les tempes. Je détestais mon père et ses rendez-vous d'embauche. Parler à des gens, voir leur motivation. J'en avais rien à faire... Il suffisait que je sois assez désagréable et la personne s'en irait. Ça serait l'objectif du jour, et je n'aurais plus qu'à dire à mon père que je n'avais trouvé personne, que les gens n'étaient pas qualifiés pour notre entreprise. L'entretien serait donc court, et je pourrais m'allonger de nouveau sur le sofa. J'informais Prudine qu'on pouvait aller me chercher le candidat au poste.

Paul ouvrit la porte après quelques secondes et l'homme entra dans le bureau, je levais à peine les yeux vers lui, peut-être le connaissais-je d'un bar du coin ? Mais non. Je continuais de trier des papiers. Peut-être que je n'avais rien à dire ? Peut-être qu'il partirait comme ça ? Sans un regard, sans un bonjour. Mais il s'avança, pris place dans le fauteuil et se présenta. Je levais mes yeux vers lui.

-Jack Powell. Je vous ai envoyé une lettre.

"Je ne l'ai pas lu. C'est pas moi qui gère le courrier, j'ai autre chose à faire. Vous venez pour quoi ? Une embauche ? Que savez-vous faire ?"

Mon ton était sec et pressant. Je n'avais pas de temps à perdre, mais je devais cependant en savoir un minimum si mon père m'interrogeait sur les candidats. Je quittais ses yeux pour attraper un stylo et reprendre mes activités sans faire plus attention à lui. Il finirait par partir non ? Prudine arriva avec mon café. Elle s'avança vers l'intrus : "Un café monsieur Powell ?" Je répondis à sa place, informant Prudine qu'il n'en aurait pas besoin vu qu'il allait bientôt partir. Je fis un geste de la main pour la chasser du bureau.

Entretien d'embauche

Je l'écoutais, imperturbable. Je daignais le regarder une seconde pour voir à qui j'avais affaire. Il avait de l'aplomb, c'était déjà un bon point. Assez pour faire l'effort de lui répondre.

"Qualifié pour ce poste vous dites ? Mmhhh. J'aimerais bien le croire, mais j'en doute... Je ne sais pas vraiment qui pourrait être à la hauteur de ce que je demande. Les horaires ne sont pas faciles, ni les machines que j'utilise... Voyons voir, je suis d'humeur à vous faire visiter mon atelier, histoire que vous redescendiez un peu sur terre."

Je marmonnais le mot "qualifié" dans ma barbe en lâchant quelques bride de rire jaune. Je me levais de ma chaise et contournais le bureau pour ouvrir la porte en m'adressant à Prudine.

"Nous allons dans l'atelier."

Elle me regarda surprise. Oui il y avait peu de gens que j'amenais derrière. Mais aujourd'hui j'avais envie. Sans doute pour m'amuser un peu et surtout pour qu'il disparaisse vite de mon entreprise. Qualifié, non mais vraiment. On traversa le bureau et on longea un long couloir. Une porte avec un digicode s'y trouvait. Je le tapais barrant la vue de l'intrus.

L'atelier était plutôt grand. De grands plans de travail étaient posés ça et là avec divers travaux en cours. Des tabourets placés devant pour s'assoir. Des plans, beaucoup de plans, des schémas, dessins, notamment fixés au mur sur des panneaux de bois. L'atelier était propre et organisé malgré un désordre visuel. Je savais où chaque objets et documents se trouvaient. Des immenses armoires contenaient des outils et du matériel électronique. Une petite pièce fermée se trouvait au fond de la pièce. Fermée par une clef sécurisée ouvrant un boitier où un système de reconnaissance biométrique s'y trouvait. La porte ne s'ouvrait qu'avec l'empreinte de mon doigt. Dans ce petit lieu étaient stockés des explosifs et de la technologie du Capitole.

Actuellement je bossais sur une lampe qui s'allumait d'un simple touché. Une commande d'un habitant du District. Je montrais l'objet à Jack, c'était bien comme ça qu'il s'appelait ? Jack ou Paul, peut importait en fait, je n'aurai pas besoin de retenir son prénom.

"Peux-tu me dire comment tu ferai pour alimenter cette lampe, sans que la personne qui la touche se prenne une décharge ? Sachant que la manière de l'allumer est de la toucher..."

Je lui tendis la lampe, sourire aux lèvres. Voyons voir petit génie... Je m'installais sur un tabouret.

"Si tu as une idée vas-y... tu trouvera tout ce dont tu as besoin dans l'atelier"

Je croisais les bras sur ma poitrine en attendant qu'il se décide. Pouvais-je être agréablement surpris ? Pas sûr.