Petit meurtre entre amis
Enzo & Kyle

Cinq ans plus tôt

Je n’ai pas bronché quand elle m’a embrassé. J’aurais même pu lui faire l’amour, ce n’est pas très difficile de mettre son dégoût moral sur pause. Je lui ai dit que je sortais ce soir, et elle qu’elle allait enfin pouvoir profiter de la maison tranquillement. Quel mari indigne je fais, elle aurait certainement fait venir mon frère si j’avais eu la décence de prévenir plus tôt. Mais c’est justement pour lui que je m’inquiète. Oh je me doute que beaucoup me pensent incapables d’être un vrai frère, mais pourtant, c’est lui qui occupe toutes mes pensées à l’heure actuelle. Je me serais tout simplement amusé de la situation s’il n’avait pas été impliqué.

Voilà pourquoi j’ai quitté la maison momentanément ce soir, et que je suis assis au bar, à siroter du bourbon en attendant le seul en qui j’ai assez confiance. Mon deuxième frère. Dès que j’ai su, je lui ai demandé de venir. Impossible d’expliquer les raisons par courrier, on ne sait jamais quels yeux trop curieux peuvent trainer et les conséquences qui peuvent en découler. Mais je sais qu’il répondra présent. C’est une certitude que j’ai et qui ne m’a jamais quitté depuis que nous nous sommes rencontrés alors que nous n’étions que des puceaux en soif de combat. Elle m’emmerde quand même, Evy, sur ce coup-là. Pourquoi faut-il que cette garce gâche tout ? Franchement, elle ne pouvait pas se contenter de ce qu’elle avait ? Une belle baraque, pas besoin de travailler, de jolies robes et un mari assez sympa pour la laisser se taper son frère en toute impunité ? Non, ça ne suffit pas à madame. Ingrate. Et vraiment ingrate. Quel putain d’intérêt a-t-elle à servir la rébellion ? Elle a tout. Tout ce qu’une femme peut vouloir ! Elle n’a jamais connu et n’aurait jamais connu la faim, le manque et je ne sais quelle autre conneries du genre. Là, son petit caprice à la con met mon frère en danger. Elle n’est pas assez douée pour être une vraie menace et je me fous qu’elle se soit servie de moi durant toutes ces années pour ces rats, mais elle peut être dangereuse pour mon frère. Est- ce qu’il sait déjà ? Parce que ce con serait capable de la protéger, de ne pas la dénoncer et même de détruire les preuves de sa véritable affiliation. C’est un pacificateur merde ! Il pourrait être exécuté pour ça !

« Un autre ! », que je commande en claquant mon verre sur le comptoir, me désespérant de la niaiserie de mon frère et de mon incapacité à l’abandonner à cause d’une stupide bonne femme.

« J’espère que tu m’en as laissé. »

Un sourire s’étire sur mes lèvres. Voilà mon deuxième frère, enfin. Je le regarde prendre place sur le tabouret à côté de moi.

« Fais toi plaisir c’est ma tournée. »

Combien de fois avons-nous pu nous retrouver dans ce genre de bar ? Souvent à chasser, d’ailleurs. Aujourd’hui, je n’ai pas le cœur à cela. Je trinque avec lui, sans avoir besoin de le remercier pour être venu. Pas besoin de cela entre nous. Puis je me penche de façon à n’être entendu que par lui.

« Evy fait partie de la rébellion. »

Le fait de le prononcer à voix haute ne fait qu’accentuer le ridicule de la situation. Pourquoi Evy ? Tu as tout pour être heureuse… Sans compter que notre foyer – tout imparfait qu’il soit – doit tout au Capitole.

« Techniquement parlant, j’en ai rien à foutre. Mais elle le met en danger. Si elle est arrêtée, non seulement ils me tomberont tous dessus et me soupçonneront moi aussi d’être un traitre, mais en plus, je suis sûr qu’il essayera de faire son chevalier blanc. »

Parce qu’il est comme ça, mon frère. Irrécupérable. La vérité, c’est que je ne sais absolument pas quoi faire dans ce merdier.

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Petit meurtre entre amis
Enzo & Kyle

Le dire rend vraiment la chose encore plus irréelle. Evy. Rebelle. C’est d’un ridicule affligeant. Elle a tout ce qu’elle veut bordel ! Plus que ce que n’importe quel pecquenaud de rebelle de mes deux peut bien rêver ! Qu’est-ce qu’elle leur trouve ? Elle veut mettre du piment dans sa vie ? Se taper le frère de son mari ça ne lui suffit pas ? Et à quoi elle peut bien leur servir ? Elle ne sait même pas cuisiner sérieusement ! Elle met tout le monde en danger, voilà ce qu’elle fait. Moi, mon frère. Sans compter que la réputation pourrait se répercuter sur mes sœurs. Elle ne pense vraiment à rien.

Je trinque avec Kyle quand il verbalise ce que je pense. Oui ils sont des cons. Heureusement qu’il est là et que j’ai toujours pu compter sur lui. Nous avons la relation que mon frère et moi aurions dû avoir. Ce n’est pas avec lui que serait arrivé ce genre d’emmerdes. On avale tous deux notre verre. Lui pour digérer la nouvelle, moi pour essayer de l’oublier. Comment je veux qu’on procède ? Putain je n’en ai aucune foutue idée. Un rictus nerveux crispe ma mâchoire quand il évoque « notre » manière. Nous avions éliminé des tributs « à notre manière » dans les Jeux. Nous avions convaincu des sponsors « à notre manière ». Nous avions formé des Carrières « à notre manière ». Autrement dit notre manière n’était pas tendre. Est-ce que je veux infliger ça à Evy ? Je ne regarde pas Kyle, mais je suis soulagé qu’il soit là, qu’il réaffirme la confiance que je peux avoir en lui. Quand on est passé par l’Arène, il est difficile d’accorder sa confiance à qui que ce soit.

« La dénoncer ne servira à rien je crois. Ils vont enquêter, je vais avoir des Pacificateurs chez moi, je serai convoqué, mon frère le sera aussi et tout éclatera. Leur relation, notamment. Et je connais assez mon imbécile de frère pour savoir qu’il essayera de falsifier les preuves. »

Non qu’il soit contre le système ou rebelle – là, notre famille en serait profondément ébranlée – mais il a ce côté héros romantique tragique. Il ne peut pas accepter de la perdre, preuve en est de leur relation. Je joue avec mon verre que je fais danser sur le comptoir du bar. Je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas faire de mal à mon frère malgré tout ce qui nous oppose mais je ne peux pas le laisser faire une connerie ou le laisser se faire embrigader.

« T’as déjà essayé de parler avec un Lorenzo toi ? On a la tête dure. Je… je crois que je veux qu’elle avoue. Qu’elle le reconnaisse. On joue à cache-cache depuis trop longtemps elle et moi. Je veux qu’elle se rende compte du danger dans lequel elle nous a tous mis. »

Je demande qu’on me resserre gardant le silence quelques instant, me délectant de la rage que je ressens envers cette ingrate. Oh oui, je veux qu’elle tombe le masque, qu’elle assume enfin : d’être une trainée, d’être une traitresse. Je veux que ces aveux sortent de sa bouche que j’ai si souvent embrassée mais que j’ai appris à ne pas croire. Comme à ses mots d’amour. Mensonges si doux à l’oreille mais terriblement faux.

« Mais on ne pourra pas la laisser partir. Au pire, elle nous balancerait à ses potes, au mieux elle mettra mon frère au courant. Et je veux qu’elle arrête de le mouiller et de se servir de lui. On doit s’occuper d’elle, Kyle. Ça lui brisera le cœur mais il s’en remettra. L’honneur de tout le monde sera sauf et il pourra rester Pacificateur et moi coach. »

Suis-je en train de la condamner à mort ? Possible. Mais si j’ai déjà tué, c’était en toute légitimité et légalité, dans l’arène, au cours des Jeux. Là c’est une autre paire de manche. Parce qu’il y aura une enquête, on me soupçonnera toujours. Il y a peu de chance que je réussisse à cacher sa liaison, mais à la rigueur je peux retourner ça à mon avantage… mais en tout cas il faut absolument cacher son appartenance à la résistance.

« Je sais que je n’ai pas le droit de te demander ça. »

Mais je sais déjà ce qu’il va me répondre. Nous devrons trouver le moyen de la tuer, sans mouiller personne et sans qu’on ait la moindre preuve que ce soit moi. La faire souffrir, mais se débrouiller pour que ça passe pour une mort « accidentelle ».

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Petit meurtre entre amis
Enzo & Kyle

Faire taire Evy. D’une manière radicale et irréversible. Douloureuse aussi. Bon sang. Je n’ai jamais aimé Evy, mais je m’en étais accommodé. Elle m’apportait la popularité et le respect dont j’avais besoin. Et aujourd’hui, je réfléchis à un divorce définitif. Ça pourrait être fait rapidement, mais j’ai envie que pour une fois il y ait un peu d’honnêteté entre elle et moi. Heureusement que Kyle est là, avec son pragmatisme qui me permet de ne pas perdre pied. Est-ce que j’ai un lieu où torturer et tuer ma femme ? Non pas vraiment. De façon étonnante, ce n’est pas franchement le genre de détails auxquels je songe en me levant tous les matins. Quant à mon frère… Ah mon cher frère, pétri de bonnes intentions et de sentiments louables. Par amour pour Evy, il enquêtera. Par amour pour son frère en revanche... Est-ce qu’il me dénoncerait ? Je n’en sais foutrement rien. Je ne pense pas. Mais il voudrait se battre, c’est certain. La seule certitude que j’ai en cet instant, c’est qu’il faut en finir et qu’Evy doit mourir. Je ne peux pas accepter une rebelle sous mon toit.

« Ma maison ? Le bateau de mon père ? Tout dépend. L’interrogatoire, on peut le faire sur le fleuve, on serait à l’abri des curieux et elle aurait beau hurler, personne ne l’entendrait. Mais on ne peut pas simplement faire disparaitre son corps en la jetant à la flotte. Et puis il risque d’être couvert de marques à moins que… »

Je réfléchis en buvant un autre verre, le regard un peu dans le vague. Evy a beau être un joli trophée, elle reste une fille du 4. Personne ne croira jamais qu’elle s’est noyée seule. On nage avant de savoir marcher. Et il y a toujours le problème des coups qui se verront si on l’interroge. Et je sais bien que ce détail vient uniquement de mon orgueil. C’est juste pour l’entendre de sa bouche, pour qu’elle plie et me supplie.

« Ou alors il faut que les blessures ressemblent à celle d’un suicide, auquel cas, on peut faire ça chez moi. On la retrouverait dans sa baignoire, les veines… enfin tu vois. Mais pourquoi mettrait-elle un terme à sa vie ? »

Une vie de rêve dans le village des Vainqueurs, des bijoux, à manger en quantité et moi comme mari. Qui mettrait fin à sa vie dans de telle condition. Non, peut-être que le faux suicide est une mauvaise idée. Bon sang, ce que je regrette le temps des Hunger Games. Là au moins c’était facile, on ne s’embarrassait pas de stratégies pour éviter la loi. Je pose mon verre avant de me passer une main sur le front et dans mes cheveux. C’est encore plus la merde que je ne le pensais.

« Que dirais-tu de m’amocher, Kyle ? Un vol qui a mal tourné, ma maison sans dessus dessous, Evy tuée avec brutalité tandis que son courageux mari tente de s’interposer, en vain. Avec un peu de talent on pourrait presque mettre ça sur le compte de cette pseudo résistance, comme pour mettre la pression pour qu’on arrête d’envoyer nos volontaires. Tu sais, leurs conneries habituelles. »

C’est une possibilité après tout. Dans tous les cas, il faudra que je prenne des coups, si je veux rendre mon histoire un peu crédible. Ou alors il me faudrait un superbe alibi, et mon frère ne croira pas un traitre mot de tout ça si c’est Kyle qui me sert d’excuse. Non, il faut que le mari soit là, qu’il ait tout fait pour protéger sa femme depuis dix ans. Je saurai jouer le rôle du mari éploré, mais il faudra que Kyle cogne fort pour justifier qu’un ancien vainqueur et actuel coach des carrières n’ait rien pu faire.

« Tu crois que c’est jouable ? »

Un tel scénario demandera beaucoup de précision : abîmer la serrure de l’extérieur sans se faire remarquer, renverser un maximum d’objets sans laisser nos empreintes. Et il ne faut absolument pas que Kyle doit repérer. Hors de question qu’il soit mis en danger indirectement à cause d’Evy.

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Petit meurtre entre amis
Enzo & Kyle

Trop compliqué. Oui, tout est beaucoup trop compliqué. Parce que ça n’a aucun sens. Evy n’aurait rien dû avoir à faire avec les rebelles. Rien du tout. Qu’est-ce qu’elle veut ? Pourquoi elle les a rejoints ? Parce qu’elle a un amant parmi ces chiens ? Mon frère et moi on ne lui suffit pas ? Je la tuerais de mes mains s’il ne risquait pas d’y avoir autant de conséquences. Je suis habitué à raisonner dans le cadre d’une arène. Or là, nous sommes hors champ, mais encadrés par la loi. Et ça n’arrange pas du tout nos affaires. J’ai bien une idée, mais est-ce que ça marcherait… J’expose alors mon plan à Kyle. Si je fais fausse route, au moins, il me le dira franchement.

Mais apparemment, il n’est pas contre cette idée, loin de là. En souriant de façon sincère, je commande silencieusement de nouveaux verres avant de trinquer avec mon ami quand ils arrivent.

« T’as intérêt à en profiter, ça ne se reproduira pas de si tôt. »

Le hasard heureux ou l’intelligence de nos coachs de l’époque a fait qu’on n’a pas été envoyés dans l’Arène la même année. Là, nous nous serions probablement associés avant de nous mettre sur la tronche. Mon orgueil naturel me pousserait à croire que j’aurais gagné, mais je l’ai observé dans l’Arène, et en dehors. La partie aurait été très serrée. J’ai foi en lui, je sais que je vais passer un sale quart d’heure. Je reporte mon regard sur lui.

« On sera précis. On l’est toujours. Il faut le faire. Et puis si au passage tu peux me foutre en l’air les breloques que sa famille nous offre depuis des années… »

Je ne veux plus rien avoir à faire avec elle. Quand ce sera fait, tout sera terminé. Je jouerai en public le rôle du veuf éploré mais pour le reste, elle n’aura ni larme ni place dans ma mémoire. Je ne désire plus le moindre souvenir de ces dix années de vie. Dix putains d’années de vie commune. Je ne l’avais choisie que parce qu’elle me permettait d’être admiré. Alors qu’aujourd’hui, elle risque de trainer le nom des Lorenzo dans la boue. Je constate du coin de l’œil que Kyle se lève. Je le connais assez bien pour comprendre qu’il est déjà en train de se projeter. Ça veut dire que c’est pour bientôt. Pour très bientôt. Ma part du boulot, ce sera de maintenir Evy à la maison. Ça ne sera pas bien compliqué. Un peu de gentillesse, une partie de jambes en l’air, même si elle m’a eu avec son rôle de rebelle, elle est très prévisible sur certains points.

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Je dépose un baiser sur l’épaule d’Evy alors qu’elle s’assoit à table. A mon tour, je prends place en lui souriant, avant de commencer à manger. C’est pour ce soir. Et évidemment, ce soir, c’est soupe. Pas question d’avoir un couteau sur la table, elle serait capable d’essayer de se défendre. Mais alors que nous dinons, je me lève un instant pour approcher du buffet et en sortir une paire de gants.

« Vois-tu ma chérie. Ce soir, j’ai oublié de te prévenir que nous avions un invité pour le diner. Il est très intrigué à l’idée de rencontrer une opposante au gouvernement, une rebelle… »

Les yeux d’Evy se plissent légèrement. Je pense que ça passerait inaperçu auprès de n’importe qui, mais moi, ça fait dix ans que je suis son mari. Dix ans qu’elle me ment, alors je sais exactement le moindre de ses tics. Je lève la main, pour lui faire comprendre qu’elle n’a pas à inventer de mensonge.

« Tutut. Ne te donne pas tant de mal, ma chérie. » J’entends un bruit, et mon sourire s’élargit. « Tu connais déjà Kyle. »

Je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe réellement en moi à cet instant. Un mélange d’adrénaline, de colère, d’excitation, de peur aussi. Je n’ai pas peur de grand-chose, mais là, je vais tuer la femme qui a été le plus longtemps dans ma vie. Un crime puni par la loi. Toutefois aujourd’hui, la vérité éclatera. Je reporte mon attention sur mon ami. Il semble prêt. Je le suis aussi. Je fais alors quelques pas vers Evy qui se lève d’un coup pour reculer, flairant la panade dans laquelle elle s’est fourrée.

« Pourquoi, Evy ? »

Je verrai si au moins elle est bonne quelque part. Vraie conviction ou résistante par ennui ? Nous allons bientôt le savoir.

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Petit meurtre entre amis
Enzo & Kyle

Je laisse Kyle faire son discours. Il est bon, on sent le coach, on sent la fermeté. Je ne bouge pas, je le laisse faire alors qu’il l’agrippe. Dire que même sans amour, je l’aurais protégée avant tout ceci. Mais elle vient de commettre la plus grave trahison qui soit. D’un simple regard, Kyle me redonne la main, me laissant quelques minutes seul avec elle. J’approche de la chaise, laisse glisser un doigt sur sa joue tandis qu’elle essaye de détourner la tête.

« Oh, Evy… voilà que je te répugne maintenant ? Dix ans à coucher avec moi, à me laisser te faire des choses très indécentes, faire les mêmes avec mon frère, trahir le Capitole et la Présidente… et c’est moi qui te répugne ? »

Je lui en colle une. Franchement des années que ça me démangeait. Des années à n’être qu’une poupée, alors qu’elle aurait pu être bien plus. Si elle est rebelle, c’est qu’elle a un potentiel qu’elle ne m’a jamais montré. J’aurais pu l’aimer, mais même ça, elle ne l’a pas voulu. Quelle conne. Je m’appuie contre la table, croisant les bras et la regardant. Elle met l’honneur du nom qu’elle porte en danger. Elle met ma réputation et celle de mon frère en danger. Quelle égoïste petite trainée.

« Je répète ma question, Evy. Pourquoi trahir ceux qui t’ont tout donné ? Que cherches-tu avec la résistance ? Est-ce que tu aurais là-bas un amant et que ça te fait jouir comme jamais de te taper un rebelle et de « t’opposer » à l’ordre établi ? Oh lala, je m’encanaille ! »

Une bourge qui cherche des sensations fortes, d’abord en ayant un amant, puis en jouant avec l’interdit et la loi, voilà tout ce qu’elle était. Elle me défie du regard, encore silencieuse. Putain, même à la fin elle ne sera rien qu’une jolie poupée appliquant à la lettre le précepte du « sois belle et tais-toi ». Alors qu’elle pourrait enfin se révéler. Elle résiste quand même quand Kyle l’attache. Elle n’a jamais aimé ce genre de petit jeu. Je ne détourne pas le regard quand mon meilleur ami la gifle. C’est terminé de se retenir, de ne pas la blesser juste pour préserver les apparences. Je place tout de même une main sur son épaule. Je l’ai vu dans les Jeux, j’ai suivi sa promotion avec attention. Je sais ce dont il est capable et je reconnais cette lueur dans ses yeux.

« Ça peut être très rapide, Evy. Réponds juste.
- Répondre quoi ? Que c’était la seule chose qui me faisait vibrer dans la vie parce que tu en es incapable ? »

Je laisse échapper un petit rire. S’attaquer à ma virilité, voilà qui est bien bas. Est-ce ça qu’on leur apprend dans la résistance ? Quelle tristesse. Ma main vole pour enserrer son cou, fermement. Comme les petits poissons qu’on attrapait quand on était gosse. Ça frétille entre les doigts. Que ferait un rebelle ? Est-ce qu’il étranglerait ? Est-ce qu’il frapperait dans le ventre ? Est-ce qu’il égorgerait ? Ce sont des barbares mais aussi des lâches, difficile de raisonner comme eux.

« Donne-moi au moins une bonne raison chérie, que tu ne sois pas qu’une écervelée. »

Je la frappe dans le ventre. Elle n’a même pas été capable de me donner un gamin légitime, décidément aucun intérêt. Son souffle se coupe. Rebelle peut-être, mais pas depuis assez longtemps pour endurer la souffrance. Je libère son cou.

« Bon je suppose que je vais devoir faire une question à la fois, sinon c’est trop compliqué. Donc… depuis combien de temps ? »

Mes doigts se resserrent de nouveau sur sa carotide, jusqu’à ce qu’elle tente d’aligner des mots.

« Un… un an et demi… »

Je la relâche. On y arrive. Un an et demie que dure cette mascarade. Je me détends la main, avant de m’écarter pour laisser la place à mon partenaire.

« Kyle, mon ami, tu pourrais me montrer ce que tu ferais à un de tes Carrières qui aurait eu l’affront de te trahir pendant un an et demi ? Juste un petit aperçu. Et après ça, elle nous dira réellement pourquoi. »

Un an et demi où elle a été capable de me jouer la comédie et de mettre mon frère en danger. Si ça ne tenait qu’à moi, je risquerai de la tuer, là, maintenant, sans autre forme de procès. Finalement, avoir Kyle avec moi me permet de me contrôler, de ralentir. Quel était son rôle exactement ? Quelles informations a-t-elle pu donner ? La corruption est partout, même dans les élites. Je n’en reviens pas. Tellement décevant…

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Enzo & Kyle

Je ne détourne pas le regard quand il lève la main sur elle et qu’elle s’écrase sur son nez. Je l’aurais défendue auparavant, même sans l’aimer. Je n’avais jamais levé la main sur elle et je n’aurais pas tolérer que quiconque le fasse. Mais aujourd’hui, mon mariage est officiellement caduc. Aujourd’hui, je ne suis plus son époux, mais un homme qu’elle a trahi, l’incarnation d’un système qu’elle gangrène. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Joli jeu de mots, vraiment. Kyle est d’un tel détachement, à croire que c’est un vrai professionnel. Pauvre Evy, des années de silence et maintenant des hurlements. S’est-elle seulement doutée de cela quand elle s’est enrôlée, de ce qui pourrait lui arriver si elle se faisait prendre ?

Ma mâchoire se crispe quand il la frappe de nouveau, à l’aide du marteau. Dix années de mariage. Je m’étais tout de même habitué à elle. Il me cède de nouveau la place, la menaçant toutefois pour l’encourager à collaborer. « Mari ». Voilà un mot qui a toujours sonné faux à mon oreille mais qui se révèle encore plus mensonger aujourd’hui. Je fais un geste de la tête à l’attention de Kyle. Il faut éviter à tout prix d’en arriver là, à la découpe des doigts, ça ne ressemblera plus du tout à un cambriolage qui a mal tourné. Ceci étant, ce sera un appui pour accuser les rebelles de ce crime, c’était même mon idée, mais je peine à aligner deux pensées cohérentes. Je ne sais pas, je ne suis pas vraiment habitué à ce genre de situation. Je m’approche donc d’Evy. Ma pauvre Evy qui ne supporte pas tant que ça la douleur…

« Je n’ai pas plus envie que toi qu’on en arrive là, ma chérie. On ne s’est peut-être jamais aimés toi et moi, mais on s’appréciait assez pour qu’on accepte ce mensonge. Alors que j’aurais très bien pu éclabousser ta belle réputation quand j’ai su que tu poursuivais ta petite histoire avec Alessandro. »

Elle me fusille du regard, et je crois bien qu’elle se retient de me cracher à figure. Je ne sais d’ailleurs pas ce qui la retient. Pourquoi cet élan soudain… vraiment, je l’aurais préféré si elle m’avait résisté avant. J’effleure sa joue, étalant un peu de sang dans un geste tendre toutefois.

« Pourquoi, Evy. Pourquoi les as-tu rejoints et quel était ton rôle ? On ne peut pas dire que je t’aie ouvert une voie royale vers quoi que ce soit d’intéressant pour eux…
- Putain Enzo, la ferme ! T’en as pas marre de tout ramener à toi. Enzo, Enzo, Enzo, toujours Enzo ! Dix ans que je bouffe de ça. Tout ne tourne pas autour de toi et de ta famille. J’ai fait ce choix pour moi ! Et uniquement pour moi ! Tu n’en as rien à foutre des autres, tu n’es qu’un égoïste, et un égocentrique, tout le monde n’est pas comme toi. J’ai vu la vraie vie pendant que tu parades dans ta tour d’ivoire. Et rassure-toi, mes missions n’avaient strictement rien à voir avec toi. Navrée mais tu n’es pas assez intéressant pour eux. »

Je me suis crispé sous la colère au fur et à mesure de ses paroles. Voilà que le masque tombe complètement et enfin elle assume ce qu’elle pense. Elle n’a vraiment de Lorenzo que le nom que je lui prête et que j’entends bien lui reprendre. Elle n’a rien compris à la notion de famille et d’honneur. Je pourrais me vexer de ses attaques à mon égard. Je le suis un peu, c’est vrai, mais là, ce n’est pas à moi que je pense.

« Dis-moi que ce n’était pas mon frère… »

Faites qu’elle n’ait pas été engagée pour espionner les Pacificateurs via mon dadet de frère. Elle ne répond pas, souhaitant jouer avec mes nerfs probablement. Sauf que là, ma main vole encore vers son cou.

« Kyle, mon ami… nous devons officiellement mettre un terme à ce mariage aujourd’hui… »

Je l’invite ce faisant à commencer son petit jeu des pinces par l’annulaire d’Evy, tout un symbole. Aujourd’hui, je me libère d’elle et de tout cela. Et demain, je serai le veuf éploré qui a tout fait pour sauver sa femme. L’enfant chéri de Panem battu à mort par des vandales, peut-être même par les rebelles. L’homme effondré qui aura perdu le grand amour de sa vie. Je ne desserre mon étreinte que lorsque sa peau commence à virer de couleur. Je n’ai même plus un regard pour elle. En me redressant, je me penche vers Kyle pour lui murmurer quelques mots à l’oreille.

« Qu’importe si elle ne confirme pas, cette fois, fais toi plaisir, je veux qu’on en finisse. »

Moi-même, dans un geste brusque et presque animal, je me retourne pour lui asséner un uppercut i violent que la chaise en tomba à la renverse, puis je me détourne complètement d’elle et de Kyle, pour laisser libre cours à ma rage. J’envoie voler la table, les verres se brisent au sol, les bols se renversent. Rien à foutre de sa vaisselle. Rien à foutre puisque ça venait d’elle, c’était elle qui les avait choisis, et je ne veux plus rien avoir à faire avec elle.

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Enzo & Kyle

Mon frère… J’ai toujours su que ton cœur te perdrait. Mais s’il y a bien une chose que je n’accepte pas, c’est bien qu’on s’en prenne à ma famille. Les Lorenzo avant tout, ce n’est pas une parole en l’air. Même son aveu, je m’en contrefous. J’aurais appliqué le principe de précaution. Alessandro va me soupçonner, il va me détester, je le sais déjà. Mais peu m’importe qu’il me haïsse, pourvu qu’il soit en vie et en sécurité.  J’envoie tout valser, quelle chienne ! Quelle garce ! Je ne veux plus l’entendre, je ne veux même plus me souvenir qu’elle a un jour existé. Mon regard se reporte sur elle au moment exact où Kyle met un terme à sa vie. Bien sûr que si, mon frère avait beaucoup à m’envier. Vainqueur, époux officiel du grand amour de sa vie… Mais je comprends ce qu’elle insinue. Oui, peut-être qu’Alessandro, dans la théorie, était meilleur que moi. Mais dans les faits…

Dans les faits, ça n’a plus la moindre importance maintenant. Le corps sans vie de celle qui a été ma femme git sur la chaise sans que cela ne m’arrache rien de plus que du mépris. Je m’approche doucement d’elle, observant mon ami la détacher pour la mettre au sol. C’en est fini pour elle. Elle ne ressemble plus à rien. Elle n’est plus Evy, la plus belle femme du district Quatre, celle que tous les hommes s’arrachaient. Elle n’est plus rien.

La voix de mon ami me sort de mes pensées haineuses. Grâce à lui, je suis libre. Mon frère est libre, bien qu’il n’en aura jamais conscience. Je n’ai jamais tué en dehors de l’Arène. Ça fait des années. Et même si je n’ai pas porté le coup fatal, je suis autant responsable que Kyle.

« C’est parfait – je le regarde, avant de lui tendre la main et de l’attirer à moi pour une étreinte virile – merci mon frère. »

Il fait officiellement partie de la famille maintenant. Au même titre que mon frère de sang et mes sœurs. Un dernier regard pour Evy, qui n’aura même pas su perpétuer la famille Lorenzo. Peut-être que je me remarierai un jour. Il le faudra bien, ma mère me tuerait sinon, si je ne lui offrais pas d’héritier. Pauvre Evy, elle n’aura pas cette chance. Encore une fois, c’est Kyle qui me ramène à la réalité. Décidément, que ferai-je sans lui ce soir ? La première partie du plan s’est déroulée sans accro. Maintenant, il faut parfaire le tableau, offrir au monde une belle mise en scène, celle d’un couple respectable du D4 battu à mort par ces rats de rebelles. Et pour cela, il fallait que je donne un peu de moi. J’ôte mes gants, pour les ranger, à leur place, comme si de rien n’était. Je devais être seulement un homme soupant avec sa femme, ayant tenté de la protéger, en vain.

Je m’approche de Kyle, histoire d’être à portée de ses poings. Je l’ai vu en action : à l’entrainement, dans les Jeux, comme coach et ce soir. Je sais que je vais prendre cher, mais je remets volontiers ma vie entre ses mains.

« Cogne aussi fort que tu veux. Mais évite le nez, tu sais que c’est mon arme avec les femmes. »

Je lui adresse un clin d’œil doublé d’un sourire. Bientôt, la chasse reprendra. Demain sera un nouveau jour. Il va me mettre KO, mais demain, tout sera oublier, tout, sauf le fait qu’en perdant un simulacre d’épouse, j’ai gagné un frère. Il me rend mon sourire, et cogne. Non seulement ça fait mal, mais en plus, c’est horriblement compliqué de lutter contre sa nature et de ne pas se défendre. Il a dû s’y reprendre à deux fois pour me faire perdre conscience, c’est que nous avons la tête dure dans nos districts. Et encore, j’ai mis un peu de temps à vraiment perdre connaissance. Le temps de sentir son pied s’écraser contre mes côtes, de m’amocher assez pour que mon corps traduise comme une tentative de défense. Je veux juste oublier cette garce et ses mots. Et je remercie silencieusement mon ami, je crois qu’il me refait si bien le portrait que personne ne se doutera que j’étais dans le coup et plus que partant.

Et pour cause, je me réveille dans un brancard, avec tout le monde qui me regarde inquiet. Plus de trace de Kyle, et un drap recouvre le corps d’Evy…

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