Ma chevelure volant au vent frais de la nuit, je contemplai l'horizon brumeux. La nuit avait été recouverte de nuages noirs, épais, suintant la pluie et le froid... La terrasse, par un nouvel artifice du Capitole, s'était couverte pour ne pas laisser ses occupants sans protection : pourtant dans l'arène, tous seraient laissés à l'abandon, mes tributs comme mon amie Cassandra.

Je ne savais pas réellement à quel moment j'avais décidé de faire de cette femme mon amie. Nous étions toutes deux soumises aux règles du Capitole, à nos sponsors qui resteraient nos généreux aidants à vie même si, grâce aux manigances de mon frère, j'en avais bien moins à subir qu'elle... Mais là n'était plus la question. Nous étions devenues amies, ou du moins nous avions une relation que j'imaginais comme ce qu'on appelait "amitié" même si je savais qu'après tout ce que j'avais traversé ma version de l'amitié n'était sans doute plus tout à fait celle du commun des mortels.

Une bonne demi-heure passa. Le visage fouetté par le vent et respirant l'air frais mais pollué de toute la cruauté du Capitole. Mes tributs avaient été conciliants ce soir, ils semblaient me faire plutôt confiance même si je sentais une pointe de méfiance en Nathanaël concernant mes avis d'alliances. Mais après tout, on ne pouvait pas le lui reprocher : aucun des carrières du District Un n'avait gagné depuis des années et c'était en grande partie de ma faute même si je n'avais jamais rien laissé paraître qui puisse m'en accuser. Cependant, cette année était différente. Il fallait que je sois à la hauteur pour que Channelle retrouve ceux qui s'étaient sacrifiés pour elle et en pensant à cela, je songeais surtout à Pearl. Cette gamine était vaillante, elle avait les capacités de remporter la victoire. Nathanaël les avait également mais il n'avait fait que suivre ce qu'on attendait de lui : Pearl elle avait fait bien plus et je lui en serai à jamais reconnaissante, s'il nous était demandé de choisir la pire des choses, à nous mentors qui ne rejoignons pas la boucherie, alors c'est elle que je sauverai, sans hésitation.

Mes pensées tourbillonnaient au rythme des relances de la pluie qui battait la mesure sur les dalles de béton du Capitole. Un orage se préparait, sur la ville comme dans nos cœurs. De légers claquements vinrent soudain s'ajouter au bruit de la pluie et je reconnus immédiatement la démarche de Cassandra, chaloupée, presque dansante mais discrète, je l'aurais reconnue entre mille : vieux réflexe de carrière. On ne nie pas ce que l'on est, ou plutôt qui on a été...

- Tu es là depuis longtemps ? me lança-t-elle une fois qu'elle fut arrivée à ma hauteur.

Je ne répondis rien, me contentant d'hocher la tête. Je lui avais demandé de venir, certes mais désormais qu'allais-je bien pouvoir lui dire ? Que je désapprouvais son choix, que je lui en voulais ? Tout cela, elle devait déjà le savoir et je ne voulais pas provoquer de disputes entre nous. Non, au fond, si je lui avais demandé de venir, c'était pour qu'elle m'explique. J'avais besoin de comprendre sa décision pour l'accepter. Elle n'avait aucun compte à me rendre, c'était bien vrai. Mais après toutes les années de mentorat que nous avions affronter ensemble, je considérais qu'elle avait le devoir de ne pas me mettre à l'écart : qu'elle me devait au moins cela...

- Si tu veux une scène d'adieu ce n'est pas pour aujourd'hui Sélène, compléta-t-elle avec un sourire en coin, comme si elle avait peur que je ne lui répondes à nouveau que par un silence.

Pourtant au fond, ce silence était la seule chose que j'avais à lui offrir. Elle était mon amie et que dire à sa seule amie quand elle décide de repartir en enfer. Je me demandais à quoi elle avait pu songer lorsqu'elle avait prononcé les terribles mots, lorsqu'elle avait accepté de suivre la règle idiote du Capitole. Certes, elle n'aurait pas à respecter leur jeu idiot et en subir la culpabilité qui irait sans doute avec, celle de "sceller le destin" d'un de ses tributs, ni même de songer qu'elle ne pouvait être certaine que les deux puissent revenir sains et saufs... Tous ces cadeaux avaient été faits aux mentors qui n'avaient pas craint de retourner dans l'arène et, en tant qu'ancienne carrière et vainqueur des Jeux, j'aurais dû en être. Seulement voilà, la carrière était morte il y a bien longtemps et un autre univers l'avait remplacé : ma sœur Channelle et l'envie de la protéger là où j'avais échoué à protéger ma fille...

Lentement, je me tournai vers Cassandra en m'accoudant sur le bord de la rambarde. On ne pouvait pas tomber d'ici de tout façon, les champs de force nous en empêcheraient : un tribut qui se suicide avant les Jeux aurait fait désordre.

- Qu'est-ce qui t'es passé par la tête ? lui demandai-je abruptement. Tu ne te rends pas compte que tu n'auras peut-être pas la même chance que la première fois ? Et ne me dis pas que tu es une vainqueur sinon je t'en colle une !

J'étais furieuse, c'était un fait. Cette année alors que Samuel était absent, Cassie aurait été mon seul soutien et voilà qu'elle partait dans l'arène, qu'elle remettait sa vie en danger et que, la sachant dangereuse, je devrais donner des conseils à mes tributs pour l'éviter ou pire s'en débarasser... Je n'aurais bientôt plus personne ici et c'était sa faute. Elle cristalisait toutes les émotions contraires, toutes les craintes et tous les doutes qui m'avaient habitée des jours durant : au fond, en elle, je voyais un peu Channelle : fougueuse, déterminée et prête à tout pour se sentir vivante. Et ça me terrifiait...