Je n'avais jamais été regardé ainsi. Ce sourire, qui avait éclairé le visage de Jonathan au moment même où j'étais apparue dans la pièce, avait quelque chose d'irréel et de beau. Pourquoi avais-je le droit à toutes ces attentions de sa part ? D'ailleurs, étaient-elles seulement justifiées ? Je n'avais rien d'extraordinaire, j'avais été naïve et faible : j'avais été une proie facile qu'on avait dû tirer des griffes de l'ennemi dans lesquelles elle était prise sans même le savoir. Alors pourquoi s'attardait-il et se mettait-il en danger ?

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine quand mes mots franchirent mes lèvres et que j'eus peur d'en avoir déjà trop demandé. Tout était si étrange, si distinct de ce que je connaissais. Rien ne serait plus jamais pareil, chaque moment aurait une nouvelle saveur maintenant qu'il m'avait tout révélé, maintenant qu'il me donnait l'impression de vouloir être plus qu'un simple rebelle venu m'avertir. La peur se mêlait à une émotion que je ne connaissais que trop peu: le bonheur, cette sensation simple mais ô combien profonde.

       

« Ne t'inquiète pas mais je vais devoir partir maintenant !»

Cependant, un bonheur, aussi simple soit-il, n'était qu'éphémère. Ce rebelle à la silhouette élancé venait de me le rappeler une fois encore. Pourtant, je ne pouvais pas lui en vouloir : il allait falloir que je sache accepter cette insécurité, cette incertitude qui entourerait sa venue et ce risque insupportable de le voir disparaître pour toujours. Aucun trait sur mon visage ne laissa paraître les pensées sombres qui m'habitaient. Je n'avais pas le droit de gâcher son départ, pas après le cadeau qu'il m'avait fait en me prouvant sa confiance cette nuit même. Je lui devais de demeurer cette fille forte que j'avais toujours voulu être et désormais devenir cette femme qui saurait faire les bons choix.

Ses pas le portèrent vers l'escalier. Je le suivis. Mon regard balaya la pièce qu'il venait de quitter avec nostalgie, qui savait quand il refranchirait cette porte. Un fusain taillé attira mon attention, nulle trace du dessin. Je compris que son image devrait rester gravée dans mon esprit à défaut de se coucher sur le papier. Les marches me parurent si vite dévalées malgré la lenteur de nos pas, même si aucun mot ne venait appuyer cette constatation il était évident que la difficulté de nous quitter était présente et affreusement douloureuse. Bien des choses se jouaient dans notre hésitation à avancer, à nous éloigner sans même être certain que l'autre serait toujours là la prochaine fois... S'il y en avait une. Tout n'était que supposition et espoir. Et l'espoir rendait vulnérable.

Jonathan marqua une pause devant la porte d'entrée. Je m'arrêtai derrière lui. Devais-je dire quelque chose ? Un comportement précis était-il attendu dans ce genre de situations ? Je serrai les poings pour éviter de montrer l'angoisse qui fourmillait en moi et me donnait l'impression de ne rien maîtriser, alors bien même que j'avais toujours veillé à contrôler ma vie entière autant que je pouvais. Depuis que je l'avais rencontré, tout filait entre mes doigts. Mes certitudes s'étaient évaporées, tout n'était plus qu'un champ de ruines sur lequel tout restait à bâtir.

Tandis que mes lèvres s'entrouvraient pour dire je ne sais quelle parole, Jonathan se retourna soudain et finit par me dire sur un ton des plus doux :

       

« Merci pour hier...A bientôt Clarissa !»

Je n'eus pas le temps de réagir, déjà la porte se refermait derrière lui. Je restai quelques secondes figée hors du temps. Puis, mécaniquement, je gagnai la fenêtre du salon où j'écartai les vieux rideaux pour l'apercevoir s'éloigner.

       

« Merci à toi Jonathan... A bientôt.»

Il n'avait pas pu l'entendre. Cette phrase dans un murmure ne servait à rien si ce n'est à me rappeler que l'ensemble des événements de la nuit passée n'était pas que pure invention. Ce murmure marquait la réalité de tout ce qui venait de se produire, du plus imbécile mouvement à la révélation la plus essentielle. Le puzzle se formait doucement dans mon esprit : même si je n'étais plus personne, que je n'appartenais plus à aucun camp, j'osais croire à l'impossible. Je n'étais plus seule.    

Et cela me terrifiait.