Histoire du personnage - 30 lignes minimum(Petit note : sans excuser toutes mes fautes d'inattention, il y a certaines erreurs de grammaire volontaires du fait qu'Indis est jeune et s'exprime à l'oral
)
Luthièn Yavanna WINFIELD, née PARKER
6 juillet 2188 - 11 Septembre 2224
Fille adorée, épouse bien aimée,
Mère magnifique.
► 5 ans
1er Novembre
«
C’est la première fois que Papa me laisse aller sur ta tombe toute seule. D’habitude, je dois rentrer avec lui et je ai même pas le temps de te dire quelque chose. Mais Maman, j‘ai cinq ans. Papa a dû comprendre que je suis une grande fille maintenant, donc il m’fait confiance. Il me laisse un peu de temps avant manger pour que je puisse être avec toi.
Il m’a obligée à prendre une fleur ce matin pour la déposer sur ta tombe. J’ai trouvé ça bête, parce que Terrell a eu droit à un petit ange blanc et moi, j’ai qu’une fleur. Et les fleurs, ça pourrit, et je ne veux pas d’un truc qui pourrit pour toi. C‘est nul. Mais je l’ai quand même déposée, coincée dans les mains de l’ange de Terrell. Elle est pas moche, hein, juste pas aussi belle que toi.
Je voulais te dire que tout va bien, Maman. C’est bête, je n’ai rien de plus à dire. C’est aussi important de dire que tout va bien, non ? Papa était triste après ta mort, bien sûr, mais il a retrouvé le sourire. Moi et Terrell, on sait pas pourquoi. Mais Terrell il est très occupé Maman, alors il s‘en fiche un peu que Papa est bizarrement heureux. Lui il dit que c’est tant mieux, et je suis d’accord. Je comprends. Il a peur tous les ans d’être tiré pour les Jeux, tu sais, et Papa aussi il a peur, et moi j’ai pas peur. Je sais très bien qu’il va pas être tiré. Je sais pas trop ce que c’est les Jeux, je sais seulement que les enfants meurent là bas, ceux du District. Une des copines de classe de Terrell, elle est morte, cette année, et il était très triste, même s’il voulait pas trop que je le sache. J’crois qu’il était amoureux. C’est vrai qu’elle était jolie.
Sinon, Maman, je vais à l’école bientôt. Terrell il est très fort à l’école, tu dois t’en souvenir. Il a même eu de l’argent et il est parti au Capitole plusieurs fois, ce qui rend Papa encore plus content. Moi, j’espère que la rentrée arrive vite, comme ça je pourrais sortir de la maison et voir un peu à quoi ressemble le District. J’aime bien le Manoir, il est joli, j’adore courir dans le jardin. Mais, à part pour les Moissons, j’ai jamais mis les pieds dehors, et je sais pas pourquoi. Je sais juste que Papa, Terrell et toi aussi vous vouliez pas.
Ah, faut que j’y aille, Papa appelle pour manger. Repose toi bien, Maman. »
«
Salut Maman. Il est tard, mais fallait que je te parle.
Aujourd’hui, il y a eu la Moisson, et Terrell est encore avec nous. C’est le voisin qui a été tiré, tu sais, celui qui a une maman qui me fait des tartes. Eh bah son fils a été choisi et je crois que c’est la première fois que quelqu’un que je connais part. Mais j’étais même pas triste, en fait, parce que même si Terrell n‘a aucune chance d‘être tiré, je suis contente qu‘il est encore là.
Et y’a une semaine, Papa nous a présenté Suzanne, la femme qu’il va épouser cet été. Il l’a rencontrée parce qu’elle est la sœur d’un de ses collègues et elle est un peu moins vieille que lui. C’est elle qui le rend heureux. Il dit qu’il veut pas te remplacer, qu’il est juste retombé amoureux par hasard et qu’elle t’aurait sûrement plu. Terrell est parti dans sa chambre pendant toute la soirée et moi je suis allée la voir et elle m’a donné un bracelet et a dit qu’elle était très contente de nous rencontrer.
Elle est gentille et je l’aime bien. Mais surtout, elle a un fils, que Papa m’a présenté. Il s’appelle Parris et il a quatorze ans, et il est mon nouveau frère, ce qui fait que Terrell est l’aîné, il a dix neuf ans, puis vient Parris et enfin moi. J’ai sept ans, je suis la plus petite, et la seule fille aussi, mais je crois pas que je peux me plaindre comme mes copines qui ont des grands frères qui se moquent d’elle. Parce que Terrell est très proche de moi, il passe beaucoup de temps avec moi pour me montrer des choses. Il m’a dit aussi qu’il était sur un projet et qu’il me donnerait des détails plus tard, et donc j’ai hâte.
Je suis allée à l’école pour la première année et j’ai beaucoup aimé. Je sais déjà lire, écrire et compter. Le maître d’école s’occupe beaucoup de moi, me donne pleins de problèmes de mathématiques que j‘essaie de résoudre, toute seule, quand je suis à l’école. Mais c'est vraiment dur. J’ai quelques copines, mais on ne voit pas les choses de la même manière, parce qu’elles se voient en dehors de l’école et moi, Terrell me ramène à la maison. Je sais pas pourquoi mais bon, ils m’ont pas trop laissé le choix. Je veux dire, Papa et Terrell.
Ecoute Maman, je dois te laisser, sinon Papa va me gronder. Je te fais de gros bisous et veille bien sur nous de là haut, porte chance à Terrell s‘il te plaît les prochaines années... J’crois qu’il a besoin que quelqu’un veille sur lui. »
«
Je passe rapidement, aujourd’hui, parce que je ne voulais pas te laisser toute seule dans le doute. C’est encore la Toussaint, une fête où l‘on va dire bonjour aux morts. Il est croyant, mais ça m‘étonne, parce qu‘il me fait pas confiance. Mais il a parlé de Foi et de Dieu, je sais pas trop qui c’est lui. Papa m’a dit qu’il veillait sur nous et qu’il t’avait accueillie à ses côtés, que tu nous observais avec lui. Donc tu dois mieux savoir que moi qui il est, et j’espère qu’il est aussi bon que Papa le dit.
Je voulais te dire que Suzanne est aussi venue avec Parris aujourd‘hui, ils sont là, mais elle est restée loin avec lui. Terrell et Parris ne s’entendent pas très bien, je sais pas trop pourquoi, peut-être parce que Parris il passe beaucoup de temps silencieux ou bien dans sa chambre. Moi je l’aime bien, je crois qu’il a bien aimé les fleurs que je lui ai offert l’autre jour. Elles étaient jolies. Je crois que je commence à bien aimer les fleurs, en fait, avant qu‘elles pourrissent. Et il m’a parlé de son Papa, qui est mort au travail, et du Capitole qu’il détestait parce qu’il ne les ont pas aidés, sa mère et lui. J’ai pas trop compris pourquoi il aurait dû les aider, mais il semblait triste. Je lui ai dit qu’il est lui aussi là haut en train de veiller sur lui. J’en suis sûre.
Comme toi… Dis bonjour à Dieu de ma part Maman. »
«
Terrell m’a enfin parlé de son projet. Il veut voler.
Mais comme les oiseaux, tu vois ? Il dessine des plans d’avions. Il m’a dit que cela n’avait rien à voir avec les hovercrafts du Capitole : lui, il me parle des vrais avions, ceux qui traversent le ciel aux temps d’avant. Il m’a dit qu’il a trouvé un livre à la bibliothèque de l’école, avec des graphiques des premiers avions : des roues, une voile tendue, une hélice… il s’est mis en tête d’en faire un lui-même. Papa espère qu’il ne se tuera pas et lui demande de se concentrer sur des choses sérieuses, comme reprendre sa place, et ça fait rire Terrell.
Mais ce que Papa ne sait pas, c’est que moi aussi je veux voler. Tu imagines ? Je sais que toi tu es là haut. Parce que je parle à ton corps, mais ton âme est montée auprès de Dieu… Dans le ciel. Là où volent les oiseaux. Quand je vois des canards et des cygnes dans le ciel, j’ai envie de courir, et j’espère m’envoler moi aussi…
Je viendrai te voir, Maman. Je te le promets. Tu m’attends, hein promis ? »
«
Pas de nouvelle aujourd‘hui, Maman.
Ah. Si. C’est vrai. Papa m’a dit que j’allais avoir un petit frère ou une petite sœur. On ne peut pas encore savoir. Suzanne est enceinte. Terrell et Parris n’avaient tous les deux pas l’air ravi par la nouvelle et d‘ailleurs, ça n‘a pas l‘air d‘être l‘amour fou entre les deux. Ils font leurs vies dans leurs coins. Terrell continue de dessiner ses trucs volants quand il n’est pas à l’école; moi je continue d’être avec lui quand il veut bien, ou alors je joue avec ses maquettes en bois, ou je cours après les oiseaux, ou je fais des problèmes de mathématiques; mais Parris est moins seul. Il vient de temps en temps passer du temps avec Papa ou avec moi. Il vient jouer quand je suis dans ma chambre avec les maquettes en bois de Terrell et je l’aime bien. Il me demande comment je vais. En fait, je parle beaucoup avec lui, et il m’écoute silencieusement. Il ressemble beaucoup à sa maman, il est aussi gentil qu’elle. Je crois que tu les aurais bien aimé, en fait. Il avait raison, Papa. Il te connaissait vraiment bien. J’crois que tu lui manques.
A moi aussi, Maman. Et à Terrell… Je pense fort à toi. Passe une bonne fête des morts. »
«
Suzanne est morte il y a une semaine.
Elle est peut-être déjà arrivée auprès de toi, mais ça m’étonnerait. Vous n’êtes pas de la même famille, vous ne vous connaissiez pas. C’est dommage, elle était tellement gentille…
J’ai beaucoup pleuré. Elle n’a jamais été ma Maman parce que c’est toi, mais elle a toujours tout fait pour m’aider. Papa est effondré. Ca fait trois jours qu’il est enfermé à clef dans la chambre où Suzanne est morte. C’est là bas qu’elle a essayé d’accoucher, mais mon petit frère était mort depuis longtemps et ça l’a tué : les docteurs ont dit que les seuls moyens de la sauver auraient été au Capitole, mais qu’ils n’étaient qu’au District Six.
Ca me fait pleurer d’y penser. Parce que Parris a beaucoup pleuré. Il est resté à côté de sa mère toute la nuit, tenant sa main, sans jamais s’arrêter de pleurer, de hurler à sa mère qu’elle n’avait pas le droit de l’abandonner. Je suis allée le voir, le matin, pour lui apporter la moitié de mon biscuit pour qu’il puisse manger un peu, tu vois. Il m’a crié dessus et m’a mis dehors, mais il avait lâché la main de sa mère. Alors il a couru dans sa chambre et n’en est pas sorti pendant trois jours.
Et je l’ai retrouvé hier matin dans le champ de fleurs. Il était là, debout, et il regardait les canards voler. Alors je lui ai dit. Je lui ai dit que sa Maman devait être là haut en train de le regarder et de veiller sur lui, à tes côtés. Je sais que ce n’est pas vrai, qu’elle ne doit pas être à côté de toi, mais il était tellement triste… Et quand je lui ai dit ça, il m’a serrée très fort dans ses bras et a pleuré en répétant mon nom. Je ne savais pas quoi faire, Maman, alors je me suis moi aussi mise à pleurer, parce que j’étais triste que Suzanne soit morte…
Je lui ai donné le bouquet de fleurs que j’avais fait pour toi, Maman. J’espère que tu ne m’en veux pas trop… Je t’aime, Maman. Très fort.
Je pense beaucoup à toi, tu sais. »
«
Terrell est définitivement sauvé de l’arène. Maintenant qu’il a vécu sa onzième Moisson, c‘est sa vraie vie qui peut commencer. Je suis heureuse pour lui, et j’en avais rien à faire pour ma première Moisson, parce que je sais que je ne serai pas tirée. Que je ne serai jamais tirée. Les mathématiques sont trop claires, les probabilités et les statistiques aussi.
Tout est triste depuis quelques mois à la maison...
Oh là, j'entends Papa crier, je dois filer Maman... Je t'aime.
A l’école, je m’ennuie, parce que le thème du moment sont les carburants et que je n’en ai strictement rien à foutre. Oups, pardon, je m’en fiche. Enfin, j’aimerais faire de la physique. J’aimerais qu’on arrête de parler de voiture ou d’usine, moi j’aimerais qu’on quitte le sol. Le District Six produit bien des hovercrafts ? Le maître a dit que c’était le programme dans quatre ans. Moi j’ai pas envie d’attendre quatre ans, alors j’ai une idée : je vais piquer les cours de Terrell. Je sais qu’il les a encore, et il passe de moins en moins de temps à la maison, et il n’en a plus besoin, alors où est le problème ?
Parris et Terrell se sont rapprochés depuis que Suzanne est morte, mais ils ont encore du mal. Terrell soutient un peu son frère pendant les Moissons. Celui-ci se prépare pour continuer dans le chemin de Papa à l’usine de train. Il a dix sept ans, tu vois, et il travaille beaucoup. Papa a tenté au début de convaincre Terrell mais lui, il a la tête dans les nuages. Et je crois qu’il est plus content que ce soit Parris en lice, parce qu’il lui arrive de sourire quand celui-ci lui pose des questions. Papa ne sourit plus beaucoup, tu sais, depuis la mort de Suzanne. Il n’est pas encore retourné travailler, il dit qu’il a droit à un congé maladie… C’est étonnant qu’il ait droit à quelque chose du Capitole, mais bon.
Parris a changé. Tu vois, l’autre jour, j’ai vu des hirondelles, et un arbre. C’était dans un pré en bordure du District, et je suis grimpée dans l’arbre. Sauf qu’arrivée tout en haut, et les hirondelles parties… j’ai eu peur. J’ai découvert que j’avais le vertige, et j’ai crié fort, coincée dans cet arbre. Et il est venu et m’a sortie de l’arbre, Maman… il était là. Avant, il n’aurait jamais été là aussi vite pour me sauver. Je veux dire, il passe plus de temps avec moi, quand je vais cueillir des fleurs, et il continue de m’écouter quand je me plains du visage bougon de Papa ou de l’indifférence de plus en plus importante de Terrell, silencieux quand il me ramène de l’école, et il me comprend, parce qu’il le vit lui aussi…
Je dois aller à l’école, Maman… Gros bisous. »
«
En fait, j’ai passé un super anniversaire. Papa m’a offert un collier, un médaillon que je peux ouvrir et dans lequel je retrouve deux photos : une de toi et une de nous quatre. Celle là, on l’avait prise l’année dernière. Il m’a dit qu’il l’avait acheté au District Un directement. J’ai du mal à y croire, parce que j’ai très bien vu que le médaillon ne sentait pas l’or au toucher et je sais que les dépenses familiales vont mal. Comme l’état de Papa. Et quand il a vu que j’étais sceptique, il m’a dit qu’il reprenait le travail après demain, avec une telle conviction que je n’ai pas su quoi dire. J’espère qu’il a raison. Je sais que plus rien ne va, je le sens, mais quand je lui en parle, Papa change de sujet. C’est énervant, mais j’espère qu’il sait ce qu‘il fait.
C’est ensuite Terrell qui m’a offert quelque chose. Il a attendu que la « fête soit finie » pour m’attraper sous les aisselles et me porter jusqu’à dehors, comme quand j’étais petite. J’avais l’impression de voler en ce temps-là : je fermais les yeux, les bras tendus et les pieds décollés du sol, et je laissais mon frère m’emporter où il le souhaitait. Et ça a un peu recommencé. Sauf que là, il s’est vite fatigué et m’a posée dehors, annonçant que j’étais lourde, et on a rigolé. Ca fait longtemps que je n’avais pas entendu son rire, Maman, et je me rends compte combien il m’a manqué.
On a couru ensemble un moment dans le jardin, puis il s’es arrêté et m’a tendu un de ses dessins. Il m’a dit que c’était le dernier qu’il avait fait. Je l’ai avec moi, Maman, regarde : il est beau, hein ? Je l’ai parce que je veux te le montrer, là haut, puisque tu m’écoutes tu dois pouvoir me voir. C’est le plus beau qu’il ait fait : les traits de crayons sont tous visibles, formant à plusieurs le contour d’un avion en plein vol au milieu de quelques nuages. Dedans sont vaguement visibles des personnes mais son nom l‘est, lui : il s’appelle « Lalwen ». C’est le plus complet qu’il ait dessiné. Il m’a dit qu’il partait demain pour le Capitole, pas le lendemain mais genre demain le onze Mars, pendant de très longs mois. Pour un projet avec son usine, tu sais, celle où l’on construit des hovercrafts. Le contenu est secret, hyper important, avant de me promettre qu’à son retour, il construirait le Lalwen et qu’on volerait tous les deux, ensemble, comme les grands aviateurs d’autrefois. Puis il s’est allongé avec moi dans ses bras pour observer voler les oiseaux. Tu serais fière de ton fils, Maman, comme moi je suis fière de mon frère.
J’aimerais que tu sois là. J’aimerais que tu sois à nos côtés, tu sais. Je manque d’une présence féminine depuis que Suzanne est morte, et toi t’es ma Maman… Quand je vois mes camarades de classe, à l’école, pauvres mais avec leurs parents, je les envie. Parce que moi, je ne vis que rêves et paroles auxquelles je confie au vent le soin de te les apporter. Et je sais que tout est une illusion, je sens que ma vie va s’effondrer, et je ne sais pas comment.
Je suis seule, Maman, et aucune statistique mathématique ne peut prévoir ce qui va m’arriver… »
«
Il est encore tôt Maman, je sais, mais je devais te dire que Terrell est parti et j’ai pleuré. J’ai encore les yeux qui me piquent.
J’ai couru après le train qui partait pour le Capitole. Il était là, à la fenêtre, secouant le mouchoir blanc brodé à mon nom que je lui ai offert, serrant contre lui la petite maquette du Lalwen que j’ai fait moi rapidement entre mon anniversaire et hier. Je voulais qu’on est un souvenir commun, et il l’a compris, parce qu’il a laissé échapper une larme quand je lui ai donné. Et moi une quand il m’a demandé de veiller sur Papa. Je crois qu’il pleurait quand je courrais après le train de toutes mes forces, au point de m’écrouler quand je suis arrivée au bout du quai. La modernité de la machine, bien sûr, l’a faite disparaître de l’horizon très vite, mais je n’avais pas pu m’arrêter, et des Pacificateurs m’ont reconduit sans ménagement vers la sortie alors que je sanglotais, agenouillée et essoufflée. Ils ont même dû me soulever.
Là, je vais à l’école, et Papa et Parris au travail. Je te revois prochainement, Maman, je pense. Je t’aime. »
«
Il s’est passé quelque chose de grave, aujourd’hui. Papa n’est pas retourné travailler. Je crois qu’il n’a plus de travail depuis trois ans, et que la seule chose qu’on ait faite pendant tout ce temps, c’est gaspiller de l’argent. Mais ce n’est pas le pire qui soit arrivée, aujourd’hui.
Et il était inconscient sur le sol quand je suis rentrée de l’école. Je ne savais pas quoi faire. Je suis allée à côté de lui et j’ai crié. J’ai crié pour qu’on m’aide. J’ai continué de crier pendant cinq bonnes minutes, et c’est le voisin qui est arrivé, en courant. J’avais laissé la porte ouverte, et il a commencé à le ranimer, en me demandant d’aller chercher le médecin le plus proche. Je n’avais jamais couru aussi vite, Maman, et ça a sauvé Papa, apparemment. En arrivant à la maison le docteur nous a dit que Papa n’était pas tombé inconscient depuis longtemps, et que le voisin avait bien fait de tenter de le ranimer.
Maintenant, il est à l’hôpital. Parris est peut-être avec lui. Moi, je ne veux pas y aller, je n’aime pas l’atmosphère que dégage cet hôpital. Ici, au District Six, il y a même plus de drogués que de malades, et j’aime pas savoir Papa là-bas. Alors, j’ai ramené une grosse couverture, parce que je ne veux pas dormir dans la maison non plus. Trop de gens Alors, je vais dormir avec toi, Maman, d’accord ? Parce qu’ici, c’est l’endroit le plus accueillant que je connaisse à l’heure actuelle.
D’ailleurs, je suis très fatiguée. Je te souhaite une bonne nuit, Maman. Je t’ai apporté de jolies fleurs, j'sais pas trop ce que c'est, elles sont sauvages. Mais elles sentaient très bon. »
«
Papa est sorti de l’hôpital.
Je suis passée le voir tous les soirs en rentrant de l‘école. Heureusement que l‘école n‘est pas loin de l‘hôpital parce que, depuis que Terrell ne me raccompagne plus, je me rends compte du danger que sont les rues du District. Les Districts sont tous ainsi ? Envahis de drogués et de voleurs ? Je me demande si ma vie aurait été différente dans un autre District. Mais je rêve du Capitole. Là bas, on soigne tout, et moi, je perds tout le monde parce qu‘on ne peut pas les soigner ici.
Toi la première, Maman. Tu es morte d‘une maladie lente et grave. J‘étais très petite, je ne m‘en souviens plus très bien maintenant... Je sais juste que tu étais couchée à la fin, que tu ne pouvais plus me prendre dans tes bras. Je devais monter sur le lit et me blottir contre toi. Là, tu me demandais de te parler, tu m’écoutais me plaindre de Terrell qui était un grand frère persécuteur à l’époque… J’ai entendu le médecin dire en sortant de ta chambre qu’il n’avait pas les moyens de te sauver, que tu aurais eu une chance au Capitole…
C’est-ce qu’ils ont dit aussi à la mort de Suzanne et de mon petit frère. Que la grossesse s’était tellement compliquée que ça faisait des semaines qu’elle était condamnée. Je n’arrivais pas à le comprendre, à l’époque, parce que Suzanne ne m’avait pas dit combien elle souffrait. Non, elle était toujours douce avec moi, me donnant des parts encore toutes chaudes de la tarte qu’elle venait de faire. Le médecin a encore dit qu’on aurait dépisté la malformation du bébé au Capitole, qu’on aurait pu sauver la mère. Au lieu de cela, elle est morte, elle aussi.
Et maintenant, il y a Papa. Oh, lui n’est pas près de mourir, mais il est aussi gravement malade et fatigué. Il ne peut pas tenir debout, je dois le pousser dans un fauteuil. Les frais d’hôpital, de médicaments, du fauteuil, alors que l’on n’a plus d’argent, c’est pas bon signe. Ca va mal finir, Maman…
Tiens, je t’ai ramené de la camomille aujourd’hui. C’est la fleur que tu préfères, tu te souviens ? Tu l’avais sur ta table de chevet aux derniers instants. Tu adorais son odeur. Une gentille Madame m’en a donné aujourd’hui, par pitié apparemment. Je m’en fiche, parce que je suis contente d’en avoir et que tu puisses aussi en profiter… Tiens.
Bisous. »
«
Au revoir, Maman. Papa n’a pas l’argent de garder la maison.
Je le savais. Je le savais et Papa l’a dit aujourd’hui, à Parris et à moi. Tu sais, lui a maintenant trouvé un travail dans l’usine de Papa et il gagne de l’argent, qu’il partage avec nous. Mais ce n’est pas assez pour garder ce grand Manoir, et avec la maladie de Papa, il peut nous donner juste assez pour que l’on mange correctement.
Papa dit qu’il a trouvé une maison plus petite et en bordure de la ville. Pas trop loin de l’hôpital. Moi je ne connais pas la ville, je ne sais pas de quel quartier il parle, mais j’ai vu Parris grimacer. Il m’a demandé de sortir de la pièce, d’aller préparer ma plus grande valise avec tous mes habits dedans. Je lui ai demandé pourquoi aussi tôt, et c’est Papa qui m’a répondu que la maison devait être vide dans deux jours. Cela ajouta à la colère de Parris et je suis partie, mais, au moment où j’ai fermé la porte, il s’est retourné contre Papa et lui a crié dessus. Qu’il n’avait pas le droit de m’amener dans le quartier le plus pauvre du District et surtout celui où vivent les drogués et les voleurs. Qu’il avait abandonné la vie le jour où Suzanne était morte. Je crois même l’avoir entendu, dans sa colère, dire qu’il l’avait tuée. Puis il est sorti et il m’a vue assise contre le mur en train de pleurer, alors il m’a serrée dans ses bras et m’a juré de me protéger, toujours…
Voilà, Maman, au revoir. Je t’ai ramené des œillets… Je t’aime. »
«
Je suis heureuse d’être là, Maman.
Les gens qui ont racheté la Maison sont très gentils et ils me laissent encore aller sur ta tombe. Ils ont même dit qu’il l’entretiendrait si je ne pouvais pas venir pendant longtemps, ce qui risque d’être le cas, parce que je ne veux pas trop les déranger. Je leur ai dit que ma famille était de confession chrétienne, qu’on fêtait encore les morts comme dans l’ancien temps et que je passais sur ta tombe toutes les Toussaints. Ils n’ont pas hésité à me proposer de passer plus souvent, parce qu’ils étaient un couple sans enfant et qu’une jeune présence leur faisait plaisir. Je ne leur ai pas répondu, je sais pas trop quoi dire aux gens, j’ai pas l’habitude de parler avec des personnes, et je sais venue directement ici.
La nouvelle maison est petite, j’ai la chance d’avoir une toute petite chambre rien que pour moi. Parris doit par exemple dormir dans le salon qui est une cuisine et Papa a une autre petite chambre… Et une salle de bain. Et c’est tout. On n’a que quatre pièces mais pour l’instant, ça va, on n’est pas trop à y vivre. Quand Terrell rentrera, ce sera plus compliqué. Mais on n’a aucune nouvelle de lui.
Le quartier est tellement dangereux… Je vois de quoi Parris parlait. Quand je dois aller à l‘école, le matin, je ne prends jamais le même chemin et je cours. Je n‘entends pas les gens et, si l’un d’eux s’approche de moi, je crie. Y’a pas de mot, et ça ne dure pas longtemps, juste assez pour que je puisse m‘échapper. Il doit encore y avoir des gens bien dans ce quartier, sinon ils n‘auraient pas peur. Moi je n’ai pas peur, je sais comment réagir si ça tourne mal.
A l‘école, c‘est toujours pareil. Je comprends les cours rapidement, peut-être moins quand ce n'est pas intéressant. C'est ce qui fait peut-être que je suis bizarre. C’est ce que disent tous les autres élèves. C’est vrai, je sais, mais ils n’ont rien d’intéressant et, en plus, ils doivent être jaloux. Je leur parle jamais. J‘ai tous les cours de Terrell que j‘ai pus récupérer à la maison. Ils sont super faciles à comprendre, et j‘aime bien son écriture, alors je suis meilleure. Je ne suis pas arrogante, du tout, c’est un fait, qui ne fait aucun effet sur moi. C’est bizarre, ça aussi… je ne sais pas trop pourquoi c’est ainsi.
Aujourd‘hui, Maman, je te propose des jonquilles, que tu aies un peu de soleil de chez nous, toi qui nous offres un si beau temps de là haut. »
«
Ma nouvelle vie est dure, car ça ne s‘arrange pas. Parris est maintenant souvent absent. Il travaille souvent, encore plus que le faisait Terrell en son temps. Lui ne donne d’ailleurs aucune nouvelle. Papa dit toujours « pas de nouvelle, bonne nouvelle », mais je suis un peu triste. Au moins, Parris lui me donne un peu de son temps chargé, il m’aide quand il est là à m’occuper de Papa, silencieux.
Il me demande si tout va bien. Je lui réponds simplement que oui. Que devrais-je lui dire, Maman ? Que je passe mon temps à courir dehors, parce que l’insécurité du quartier est telle que je dois crier et courir pour aller où je souhaite aller ? Quand Terrell m’amenait à l’école, on en croisait deux ou trois, et ils ne faisaient rien à la petite rouquine parce que j’étais accompagnée. Terrell a toujours été plus intelligent que sportif, mais ça suffisait. Mais là, ils sont en groupe, juste trop shootés et lourdauds pour me rattraper, et trop bêtes et craintifs pour rester inactifs devant mes cris. Et je ne dis rien à Parris, parce qu’il s’inquiéterait, pourrait hurler encore sur Papa, ou prendre du temps qu’il n’a pas pour être auprès de moi… Et s’il y a une chose que j’ai comprise, c’est qu’on doit tout donner pour sortir de là.
Mon père a donné sa santé, Terrell sa famille et Parris son temps.
Et moi, mon attachement à la vie.
Je vis au jour le jour, sans grande envie. Ni heureuse, ni malheureuse… Et je comprends que ça a toujours été ainsi. J‘avance sans but dans la vie, que je sois riche ou pauvre, seule ou entourée… Et c‘est marrant, parce que ça me donne l‘impression que rien ne m‘atteint. Je n‘ai pas peur. Je n‘ai pas peur des Moissons, des drogués, de ce District, de la pauvreté… J‘attends une chose que j‘ignore. Je rêve, j‘ai les yeux rivés vers le ciel avec un désir de voler. Ce pourrait être un but, Maman, mais je ne vois pas comment le réaliser, alors c‘est un peu un rêve impossible. Et ça ne donne pas une raison de vivre.
Heureusement que je peux te parler, Maman, et tout te dire, parce que je ne parle pas beaucoup sinon. Je n‘aime pas les gens et eux aussi, sauf ma famille, mais tu vois que je n‘ai pas trop l‘occasion de leur parler, alors que j‘aime ça. Je parle aux nuages et à ta tombe… Je me demande des fois si j‘aimerais pas être avec toi au ciel. Mais je ne suis pas prête à mourir, pas encore.
Il reste un brasier qui n‘attend qu‘à être allumé dans mon cœur… »
«
Hier, Terrell a été exécuté pour trahison.
C‘est Parris qui est arrivé avec la lettre. Les Pacificateurs sont allés le voir après sa journée de travail, directement dans la rue, pour lui donner le fax qu‘ils avaient reçu du Capitole. Ils l’ont même pas mise dans une enveloppe… Il est arrivé essoufflé à la maison alors que je servais à manger à Papa. Il m‘a demandée de m‘asseoir. Je l‘ai fait. Et il nous a annoncé la nouvelle. J‘ai demandé la lettre, et c‘était bien signé du Capitole, avec pour seul intitulé : «
Terrell Manwë Winfield, 23 ans, a été exécuté par balle ce mercredi 14 novembre 2333 pour participation active au sein de la rébellion. Pour cette raison, son corps ne sera pas envoyé à la famille. Respectueusement, » J’ai eu à la lire qu’une seule fois pour me souvenir. Papa a blêmi, Parris est resté silencieux et moi, j’ai couru dans ma chambre. Je suis allée à la fenêtre, que j’ai ouverte, je me suis assise et j’ai regardé la lune. J’avais le plan du Lalwen dans mes bras, serré contre moi. Ce sont mes nouveaux voisins drogués qui, appelant la rouquine, m’ont fait rentrer dans ma chambre et me coucher.
Je sais pas si tu l’as vue, Maman, cette lune. Elle était magnifique. Grande, belle, arquée. J’aurais pu passer la nuit à la regarder. Je sais pas si Terrell est à tes côtés, maintenant, si ses supposés actes de rébellion peuvent l‘avoir conduit auprès de Dieu.. J’espère. Je ne sais pas quoi penser, parce que le Terrell que je connaissais me vantait un tel Capitole… de là à le trahir ? Et si jamais, il ne se ferait pas aussi facilement prendre… Pas Terrell, pas lui. Terrell était trop fort pour se faire avoir comme ça.
Hein, n’est-ce pas ?»
«
Aujourd’hui, c’était mon anniversaire.
Papa a réussi à économiser pour m’offrir une belle robe. Cet argent est une espèce d’économie sur ses médicaments que l’on paye avec l’argent du Manoir; la nourriture est payée par Parris. Je le sais parce que je gère les économies de mon père, désormais, selon ce qu’il me dit de faire. Je suis très à l’aise avec les chiffres, et même avec la Physique. On a enfin commencé les leçons de mécanique, tu te rends compte, Maman ! J’adore. J’adore la Physique, j’adore les maths, et je me désole du peu que peut nous offrir notre prof’. Il doit se tenir aux programmes. C'est triste. Mais je dévie un peu.
Enfin, je voyais qu’il souhaitait m’offrir un cadeau, mais lequel ? C’était une vraie belle surprise. On retrouve le bon goût de Papa, que tu devais bien connaître toi. Elle est bleue, fait ressortir la couleur de mes yeux. Elle me fait penser au ciel. Elle me fait penser aux œillets clairs, et à toi. Je l’ai mise tout de suite, et puis on est passés à table, avec Parris, et c’est au dessert qu’il m’a offert lui son cadeau : un très fin mais très résistant bracelet en or, avec mes deux prénoms gravés dessus. Il sait que je les aime tous les deux, parce que c’est toi qui les avais choisis, avec leur belle musicalité. Et ce bracelet est de la même couleur que mon médaillon, et ils s’accordent bien ensemble.
Pendant un instant, j’ai pu oublié la mort de Terrell, le fait que c’était le premier anniversaire où il n’était pas là. Ca faisait un vide, bien sûr, mais à l’instant où j’y pensais, ma maladresse avait fait renverser l’eau de mon verre. Et voilà, on avait tous ri. Avant que je vois cette ride de souci de Papa, tandis qu’il fixait le poignet où était accroché le bracelet. Je crois que quelque chose ne va pas. Depuis la mort de Terrell, il cherche à peine à faire quelque chose. Il est vidé de toute énergie, et ne parle que lorsque je suis avec lui.
Je l’ai pourtant entendu murmurer que
c’était bizarre. Et ses yeux se sont, pendant un instant, rallumés. »
«
La religion parle de miracles, Maman, et j’en ai vu un, hier. Papa a réussi à se lever de son fauteuil roulant usé. C’était incroyable, c’était magnifique, comme si on allait enfin sortir de notre situation. Parce que depuis mon anniversaire, il n’a de cesse de murmurer dans son coin.
Comment aurai-je pu savoir qu’une chose si grave allait se passer ? Comment ? Je ne ressens pas beaucoup de joie, Maman, tu as dû le comprendre, dans ma vie qui se déroule au jour le jour, mais là, je la découvris réellement. Pour un proche, moi qui est une liste de proches qui se réduit de jour en jour… Encore une fois, elle s’est réduite. Mais laisse moi continuer l’histoire.
Il s’est rassis dans le fauteuil et m’a demandée de l’amener à l’usine. C’était la première fois que je traversais ma rue sans courir, et par chance, il n’y avait personne. Ca a été physique de le pousser jusqu’à l’usine mais, là bas, il s’est levé et s’est appuyé sur moi. Un employé l’a reconnu et s’est portant garant du fauteuil, puis on est monté parler à celui qui dirigeait les employés. L’ancien poste de Papa. Cet homme ne le connaissait pas par chance, ce qui lui permit de répondre franchement quand Papa lui a demandé s‘il connaissait Parris. Je ne savais même pas que Papa y était là bas pour ça, mais cette nouvelle me renversa en même temps que lui : non.
Quand Parris est rentré à la maison, hier soir, j‘ai demandé à mon père, du regard bien sûr, à rester, et il m‘a même du même regard renvoyée dans la chambre. Comme une vieille soirée, longtemps auparavant, je suis restée derrière la porte. Sauf que cette fois-ci, l‘accusé était mon frère, et c‘était grave.
Il nous avait menti et n’avait eu de cesse à magouiller. Il avait travaillé pour s’en sortir, mais de la façon la plus malhonnête possible. Il avait trempé dans le trafic de drogues du District. Papa lui hurla qu’il avait jeté le déshonneur sur la famille et alla même jusqu’à l’accuser d’avoir consommé, idée sur laquelle Parris s’était rebellé et s’était mis à hurler à son tour, sans jamais nier les accusations. Il expliqué que la famille Winfield était désormais une loque, une image salie et dont on se moquait. Des femmes mortes, un père malade et déconnecté, un aîné exécuté pour trahison, et une fille surdouée mais asociale et à côté de la plaque ? Que la famille qui avait un jour été la plus respectable du District était désormais obligée de vivre dans un taudis au milieu des drogués ? Il continua en hurlant que la famille Winfield lui avait gâché sa vie, lui avait pris sa mère. Qu’elle était morte en mettant un des nôtres au monde. Il ajouta qu’il n’en pouvait plus. Et Papa l’a viré de la pièce.
Je savais que Parris allait sortir, et je ne voulais plus le voir. Alors, je suis allée dans ma chambre et je me suis réfugiée, tremblante, dans mes draps. Je n’ai pas dormi. Tout la nuit, j’ai attendu. Quand tout était calme, j’ai entendu des bruits. Je savais ce qu’il se passait. Je savais ce qui arrivait
Ce matin, Parris avait disparu, sans rien laisser. Pas de photo, pas de mots, pas d‘argent. Ni de souvenirs.
Comme s’il n’avait jamais existé dans nos vies. »
«
Je ne sais plus quoi penser, Maman. Je dois m’occuper de Papa, dont l’état a empirée après le départ de Parris. Je pense à toi et je viens pour t ‘apporter des fleurs, mais j’ai un mal fou à rester debout. Je suis désolée, Maman. Je me vide de toutes mes forces, et il n’y a plus personne pour m’aider à sortir la tête de l’eau… Mon père me vide. Mes frères, dans leur absence, me vident. Je pense à eux et je tremble. Je leur en veux de m’avoir abandonnée, tous les deux.
Pourquoi, Parris, t’es-tu senti obligé de nous mentir ?
Pourquoi Terrell t’es-tu mêlé à une rébellion qui allait, quoi qu’il arrivait, te bouffer ?
Pourquoi me laissez-vous tous toute seule ?
C’est de ma faute ?
J’ai si honte de pleurer… »
«
J’ai vu un hovercraft.
J’étais allongée dans un pré, au pied du grillage de la bordure du District. Si, de nuit, cet endroit est dangereux, de jour on n’a à supporter que les restes de préservatifs et de seringues ou de sachets. Mais ça ne change pas la douceur de l’herbe ou à la fraîcheur de sa rosée. Parce que j’y suis allée tôt le matin, tu vois, réveillée avant l’aube pour profiter des aurores. Je pensais profiter de l’envol des hirondelles pour des terres plus chaudes, loin, loin de Panem, et je les ai vues quitter ce monde pour un autre. J’ai rêvé de les rejoindre et d’aller toucher le soleil, moi aussi. Je me suis demandée si là haut, ces belles bêtes discutaient avec le bon Dieu.
Et c’est alors qu’est venu le cri de panique d’autres oiseaux, encore restés dans les arbres. Et, écho à ces cris, apparu alors l’énorme hovercraft ovale, joyaux même du transport capitoléen. Comme une éclipse solaire, l’engin avait soudain barré tout le ciel, jetant la nuit sur les terres qu’il survolait. Il était bas et très lent, comme pour donner l’impression qu’il cherchait quelque chose… De quoi effrayer n’importe qui, animaux ou humains, le faisant fuir ou rester tétanisé sur place.
Mais moi je l’ai suivi, sans être capable de le quitter des yeux. J’étais émerveillée, cherchant à capter le plus de détails possibles. Il était magnifique, Maman, magnifique… Encore plus quand, ayant décidé qu’il en avait fini au District Six, il s’éleva et disparut à une vitesse qui me laissa sans voix, debout sur la place principale les yeux rivés vers le ciel.
Je ne regarde même plus mes maquettes d’avions. J'insiste auprès du professeur pour qu’on étudie les hovercrafts en cours, mais il refuse. Par contre, il m’a donné trois de ses livres, et j’en ai déjà fini un en deux jours. Ca me permet de m’échapper, Maman… Ca me permet d’avoir un but.
Je veux devenir pilote d’hovercrafts.
Je sais combien c‘est dur. Je sais qu‘ils ne vivent qu‘au Capitole, et que le Distirct Six ne se contente que d‘en construire les pièces, qui sont assemblées dans les usines d‘armement du Capitole. Mais n‘allez pas me dire qu‘ils trouvent tous leurs pilotes dans les salons de parade du Capitole… Pourquoi travailleraient-ils, d‘abord ? Je suis plus capable que les trois quarts d‘entre eux de faire quelque chose de ma vie, et j‘y arriverais. Papa s‘est arrêté avant de pouvoir briser ce plafond de verre. Parris s‘y est cassé les dents. Terrell y a laissé sa vie.
Et moi, dans leur sillon, j‘ai l‘élan nécessaire pour y arriver. »
«
Je ne lâche rien, bien que ce soit dur.
Je suis bien trop jeune pour essayer d’être pilote. D’abord, je me bagarre à l’école pour entrer dans l’usine de fabrication d’hovercrafts. Il n’y en a qu’une dans tout le District, plutôt petite et intime qui recrute plutôt des ouvriers, mais j’y arriverai. C’est dur de vouloir devenir ingénieur dans le transport : les parachutés du Capitole, qui gèrent toutes ces usines, craignent plus les ingénieurs et leur intelligence que les ouvriers et leur docilité. C’est pour cela même qu’ils ne font rien contre le trafic de drogues. Au contraire : je suis persuadée qu’ils y sont trempés… Comment mieux tenir le peuple que leur donner d’autres dépendances ?
Sois rassurée, Maman, je n’y toucherai pas. Je n’en ai pas besoin pour me détacher de mes problèmes.
J’ai dévoré deux ou trois fois les livres du professeur avant de les lui rendre. La physique devient presque intuitive, bien que j'ai encore beaucoup besoin d'apprendre. Mais c'est ma principale occupation, non ? De plus, je ne me mêle pas à la vie du District ; je suis une scientifique dans l’âme, ni une rebelle, ni une politicienne. Le Capitole n’aura jamais rien à craindre de moi, si ce n’est ce plafond de verre que je me jure de briser, pour moi.
Sinon, je suis obligée de prendre des Tesserae, parce que je gère les comptes de la maison et si je veux avoir encore l‘argent de soigner Papa jusqu‘au jour où je travaille, il faut économiser. Et je ne peux que économiser sur le budget nourriture. Mais tu sais, rajouter quelques papiers de plus par an dans l’urne ne change rien à ma situation, surtout que c’est que des fois. Je n’ai toujours que trop peu de chance d’être tirée. Les Moissons m’ennuient plus qu’autre chose, puisque je suis obligée de laisser Papa à la maison. Il a eu un certificat du Capitole pour échapper aux Moissons, étant grand malade, mais moi je suis une potentielle Tribut, donc je dois y aller. Comme à mon habitude, je regarde le ciel, jusqu’à ce que je sente le mouvement autour de moi qui m’annonce la fin des festivités. Et je retourne à la maison, comme s’il ne s’était rien passée.
Papa est régulièrement muet. Il ne parle plus, mange peu, ce que je lui force d’avaler en somme. Ses yeux sont vides avant que je n’arrive et ils pétillent un peu quand il me voit, mais c’est tout, ça s’arrête là. Ils s’éteignent très rapidement après, peut-être parce que je ne lui parle que très peu. Je n’y arrive pas, les mots ne me viennent pas, je ne me force pas. En vérité, je ne parle peut-être qu’à toi et au professeur, Maman, parce que vous semblez être les seuls à porter de l’importance à mes mots. Je suis un peu triste de cela, tout de même… parce que j’adore parler. Mais qu’est-ce que je peux dire aux gens ? Ils ne me comprendraient pas, je pense, et je n’ai pas forcément envie de parler de mon père ou mes frères. Alors que les ragots et la
came semblent les seules choses intéressantes, dans les rues.
Mais ne t’inquiète pas, tout va bien pour moi. »
«
C’est la dernière fois que je te parle, Maman. Le Capitole a acheté le Manoir et va le détruire demain. Il va disparaître à jamais, et toi avec, parce que nous n’avons pas les moyens de t’enterrer ailleurs que dans une fosse commune. Je préférerais te savoir incinérer ici et mélangée avec la terre qu’au milieu de cadavres qui ne t’arrivent pas à la cheville. Alors j’irai voir les Pacificateurs… et j’espère qu’ils accepteront. C’est plutôt arrangeant, pour eux, ils brûlent et hop ! plus rien.
La prochaine fois que l’on se verra, Maman, ce sera là-haut. Je n’abandonnerai pas, je te le promets, on se retrouvera dans le ciel. En attendant, je vais apprendre à devenir pilote, et je vais découvrir ce qui est vraiment arrivé à Terrell. Je crois de moins en moins à un acte de rébellion. Je crois qu’ils l’ont tué pour autre chose, s’ils l’ont tué…. Et je n’ai pas d’idée, je ne sais pas quoi penser de ce qui est arrivé de lui. Beaucoup moins que Parris.
Lui aussi, j’ai besoin de le retrouver. Tu te rends compte ? Je suis persuadée qu’il est encore dans ce District mais je ne l’ai plus jamais vu depuis qu’il est parti. Il nous déteste, Maman… Je devrais m’en fiche, hein ? Après tout, il a été odieux avec nous. Il nous déteste. Moi aussi. Alors qu’il avait juré de me protéger, le soir où l’on est partis du Manoir… Je veux savoir.
Je veux savoir ce qui leur est arrivés, Maman. Et toi, j’espère que tu vas pouvoir reposer en paix dans ce pré.
C’est triste que ce soit la dernière fois que je te vois.
En plus, demain, ça aurait été ton anniversaire. »